Scrutinclusif

Une personne sur 6 est en situation de handicap, mais où sont les élus handicapés ? Femmes, hommes, de gauche, de droite, si peu nombreux. Droit Pluriel a décidé d’aller rencontrer partout en France ceux qui ont gagné ce parcours du combattant : mener campagne, voir son nom sur un bulletin de vote et siéger avec les autres représentants au nom du peuple français.

Scrutinclusif, la nouvelle série de chroniques de Droit Pluriel leur donne la parole jusqu’aux élections départementales et régionales de juin prochain. Leur volonté et leur combattivité donneront, espérons-le, envie à d’autres de se lancer !

Photo de Pier Carlo Businelli

 

Pier Carlo Businelli, 69 ans, 1er maire adjoint à Saint-Martin-du-Tertre

Né en Italie, je suis venu en France à l’âge de 7 ans. À l’adolescence, j’ai fait une chute au lycée qui m’a rendu très malvoyant. Suite à cette perte de vision, j’ai suivi mes études dans une école adaptée aux malvoyants jusqu’en 1971. Puis, je suis rentré dans la vie professionnelle jusqu’en 2000 où j’ai suivi une formation aux arts et métiers et en comptabilité. J’ai dû cesser mon activité du fait de l’aggravation de mon handicap visuel suite à un glaucome. De nature curieuse, j’ai décidé de profiter de mon temps libre pour me renseigner sur l’histoire du village et je me suis impliqué dans la vie locale dès les années 70.

Ainsi, lorsqu’en 1983 le maire de l’époque m’a proposé de faire partie de sa liste, j’ai tout naturellement accepté. J’ai enchaîné ensuite avec un deuxième mandat comme adjoint à l’urbanisme. En 2001, je suis devenu premier adjoint ; en 2014, j’ai été élu dans l’opposition, réélu en 2020, j’ai repris le poste de 1er maire adjoint. Au final, cela fait 38 ans que je m’investis pour la vie de ma commune. Je suis passionné par la vie publique, et même si parfois on prend des coups, je préfère cela à rester chez moi. Je ne suis encarté nulle part et je me revendique « ELG » : Électron libre de gauche.

Je suis président de plusieurs associations, je m’occupe d’un musée et je suis vice-président d’honneur de l’Office de Tourisme communautaire. Dans ce village de 2800 habitants, tout le monde me connaît et connaît mon handicap. À la mairie, on me transmet des documents avec reconnaissance de caractères, et je me débrouille avec la synthèse vocale de mon téléphone. Je n’ai pas trop de soucis d’accessibilité, car je suis favorisé : j’habite à moins de 200 mètres de la mairie. Si je ne vois pas à 40 centimètres de mon visage, je suis capable de voir les ombres au loin. Je connais le coin par cœur : 70 pas jusqu’au passage piéton, 30 pas à droite jusqu’à la mairie… Quand on ne peut pas voir avec les yeux, on voit avec les pieds. J’ai trouvé des combines, des systèmes D pour pouvoir me débrouiller sans canne blanche. Malheureusement, l’adaptation a ses limites et si je sors dans un endroit inconnu, je ne peux pas me débrouiller seul. Heureusement, j’ai une femme sympa qui m’accompagne.

Enfin, si mon intégration au niveau de la mairie de Saint-Martin du Tertre est réussie, je pense qu’à sortir du cadre municipal, les freins d’accessibilité sont trop grands et je ne serai pas sûr de pouvoir être élu à une plus grande échelle. Ma dernière mésaventure, c’est les élections européennes de 2017, le maire de l’époque a refusé en prétextant mon handicap visuel pour que je ne tienne pas le bureau de vote alors que je faisais cela depuis 25 ans. En 2001, je ne voyais pas mieux qu’aujourd’hui, et pourtant les maires qui étaient alors en place m’ont toujours fait confiance pour tenir l’urne. J’ai réagi à ce que je considère être un fait discriminatoire, mais trouvé peu de répondants auprès des responsables institutionnels et politiques. J’espère que les choses vont changer, surtout qu’il n’existe aucun texte qui interdise à une personne malvoyante de tenir une urne. Moi je m’en fous, mais si demain, quelqu’un veut entrer dans la vie publique, pourquoi il n’aurait pas les mêmes droits que les autres ? L’égalité des chances des personnes handicapées ne doit pas être une utopie, elle doit devenir une réalité. La différence doit être un atout, pas une difficulté.

 

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Matthieu Annereau, 43 ans, conseiller municipal à Saint-Herblain

Je suis marié, j’ai 3 enfants, employé de banque et depuis 2014 élu local. J’ai toujours été très intéressé par la vie politique, les débats télévisés. En 2014, soucieux de participer au « mieux-vivre » de ma commune, j’ai décidé de candidater aux élections municipales. Ma liste était composée essentiellement de personnes qui n’avaient jamais été élues. Il y a donc eu un fort engagement citoyen et la campagne s’est très bien passée.

J’ai ainsi réalisé que les freins ne venaient pas comme je le pensais des citoyens avec qui j’ai pu échanger et débattre, mais des élus locaux et nationaux, suspicieux qu’un homme aveugle se présente. J’ai senti que la perception du handicap était encore très péjorative au sein de la classe politique. Je préside mon groupe politique, et interviens sur tous types de sujets locaux notamment dans les diverses commissions : urbanisme, finance, défis environnementaux. Je prépare mes sujets du mieux que je peux. La dématérialisation des documents me permet de les lire grâce à la synthèse vocale en amont des conseils municipaux. Ceux-ci, qui se déroulent parfois en visio ne me posent pas de problème particulier. Je peux donc prendre la parole, réagir aux débats et effectuer de manière complète ma fonction d’élu.

Le seul problème est lié aux déplacements, je ne peux pas être aussi flexible et adaptable que je le voudrais. Un autre élu ou ma compagne m’emmènent à tour de rôle aux conseils municipaux. Il y a un vide juridique sur l’aménagement de poste et l’accompagnement des élus en situation de handicap. J’ai pu bénéficier d’un logiciel informatique me permettant d’être autonome, mais je sais que cet aménagement dépend uniquement du bon vouloir de la collectivité. À partir du moment où ces mesures d’accessibilité ne sont pas obligatoires, cela peut devenir compliqué pour les élus handicapés de les demander. Ainsi, j’utilise mes aides de prestation de compensation du handicap pour mes fonctions électives. C’est dommage et contraire à la déontologie de mélanger mes aides de compensation privées et publiques. Il n’y a pas de cloisonnement entre ces deux sphères pour les élus handicapés, et leur accompagnement n’est pas suffisant.

Pour amener une prise de conscience collective, l’inclusion est la solution et permettra de lever les freins et les tabous autour du handicap. Je suis sûr que comme tout citoyen, nous avons des choses importantes à apporter aux débats, grâce à nos expériences singulières. Il est fondamental que les citoyens handicapés s’engagent, notamment au niveau national où seulement 1 député sur 577 est handicapé.

 

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Odile Maurin, 57 ans, conseillère municipale de Toulouse et conseillère métropolitaine

J’ai arrêté l’école en première S. J’ai une maladie génétique rare, diagnostiquée seulement à 45 ans. Il y a trois ans, on m’a diagnostiqué autiste Asperger. Je me déplace en fauteuil roulant électrique et j’ai besoin d’un accompagnement quotidien. Mon engagement, il est avant tout associatif. Cela fait 20 ans que je me bats dans le domaine du handicap. Pendant plus de 15 ans, j’ai aidé les personnes à défendre leurs droits en tant que présidente de Handi-Social et je suis co-animatrice du Collectif InterAssociatif Handicaps 31, membre titulaire de la CDAPH (Commission des Droits et de l’Autonomie de la MDPH), du CESER (Conseil Economique, Social et Environnemental Régional) Occitanie… Je suis une autodidacte et pour défendre mes droits à la fin des années 1990 face à la Cotorep, ancêtre des MDPH, j’ai lu le Code de la Sécurité Sociale et le Code du Travail afin de connaître mes droits. J’ai obtenu la condamnation de la COTOREP devant le Conseil d’Etat en 2006 et fait reconnaître mes handicaps. En 2015, j’ai été sensibilisée au validisme grâce à Elisa Rojas et il n’était plus question que je me laisse faire. Je me suis inspirée des activistes américains, et avec mon collectif nous avons décidé de mener des actions de désobéissance civile non violente pour dénoncer l’inaccessibilité et les reculs des dernières lois. En 2018, j’ai par ailleurs formé les avocats de Toulouse au droit MDPH. En 2019, je n’ai pas pu rester sans bouger devant les violences institutionnelles et milité avec les Gilets Jaunes.

Si j’ai toujours refusé de me présenter à des élections, en 2019, deux gilets jaunes que je connaissais m’ont plébiscitée sur une liste municipale soutenue par des organisations de gauche. Finalement, sans que j’ai candidaté, je me suis retrouvée en 6e position et j’ai été élue dans l’opposition. J’ai notamment aidé à rédiger le programme de ma liste, Archipel, en respectant les principes de conception universelle. Notion qui consiste à concevoir sans exclure personne ni stigmatiser, pour garantir à tous l’accès à la vie citoyenne, quel que soit ses capacités physiques, sensorielles, mentales et cognitives. Comme je ne sais pas faire les choses à moitié, je participe aux conseils municipaux et communautaires dans ce cadre à cinq commissions métropolitaines : urbanisme, logement, voirie, transport et propreté. J’ai besoin d’avoir une vision globale sur ces différents sujets. J’avais déjà obligé le maire de Toulouse à lancer le recensement du logement accessible alors que ça trainait depuis 15 ans. J’avais aussi lancé une « brigade de libération des terrasses », pour faire respecter la loi et garantir le passage des personnes se déplaçant en fauteuil sur les trottoirs occupés par les bars des amis du maire. Vu que je prépare mes interventions et les différentes réunions, j’ai beaucoup de travail. Quand je vais en réunion, j’argumente, je suis pointue.

En tant que conseillère, pour pouvoir prendre part aux commissions et conseils sans jouer les potiches, j’ai besoin d’aides humaines et techniques pour compenser mes difficultés liées au déplacement mais aussi et surtout pour mes troubles cognitifs. Je mets a minima quatre fois plus de temps pour réaliser les mêmes tâches qu’un valide, et ressens pour ce faire une fatigue plus importante. J’ai donc dû embaucher deux jeunes de Science Po à temps partiel pour m’aider. D’abord physiquement car je ne peux pas ouvrir les portes toute seule, m’accompagner aux toilettes ou me découper les aliments, et pour prendre des notes durant les réunions, pour lever la main à ma place. Mais j’ai aussi besoin de leur présence pour leur dicter mes notes et mes contributions pendant que j’étudie les milliers de pages de délibérations que nous recevons, et pour m’aider à me concentrer sans m’éparpiller. La loi parle explicitement de l’accompagnement physique mais est moins précise pour l’aide nécessaire pour compenser le handicap cognitif et le maire fait une lecture restrictive des textes. Comme je suis très investie et soucieuse de remplir ma mission au mieux, ces aides me sont indispensables pour préparer et suivre les séances. Depuis que je suis élue, la ville ne m’a remboursé que 81€ alors que j’ai dépensé plusieurs milliers d’euros. Ces frais me prennent les ¾ de mes indemnités, soit 860 euros mensuelles en moyenne sur mes 1 100 euros d’indemnités municipales et métropolitaines. Le maire a fourni des tablettes que je ne peux pas utiliser et me refuse un ordinateur adapté pour faciliter mon travail. À croire qu’il veut me pousser à la démission ? Le droit à compensation est encore trop peu respecté constituant une rupture d’égalité entre élus. Cela explique d’ailleurs la moindre représentation des personnes handicapées à des postes électifs. On est des simples variables d’ajustement et ce qu’on vit c’est de la maltraitance institutionnelle…

 

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Jean-Charles Houssemagne, 36 ans, conseiller municipal à Cossé-le-Vivien

Je suis devenue tétraplégique suite à un accident de plongée en 2016. Après 2 ans et demi de rééducation, j’ai pu revenir chez moi. Je ne peux rien faire tout seul, mais la technologie m’aide beaucoup. Je travaille dans la comptabilité-audit-gestion à un rythme de mi-temps thérapeutique.

J’ai toujours voulu faire de la politique, même avant mon accident. C’est le fait que je sois en situation de handicap qui m’a convaincu d’en faire et de réaliser mes rêves. Je connaissais le maire de ma ville donc je suis allé le voir et j’ai demandé à faire partie de sa liste. La ville n’ayant qu’une liste : nous avons donc été élus. L’intégration auprès des conseillers s’est très bien passée, je les connaissais déjà tous pour la plupart. Néanmoins, si je peux effectuer mon poste d’élu en tant que chargé de communication, c’est grâce à ma compagne qui m’emmène aux commissions et aux conseils municipaux ayant lieu le soir. En effet, il n’y a pas d’aide à domicile disponible en soirée pour m’aider dans mes déplacements.

J’ai conscience que tout seul, cela serait difficile, voire impossible surtout si j’évoluais et que je voulais aller plus loin en politique. Cela demande une logistique considérable. J’essaie tout de même de ne pas me mettre de barrières : je participe notamment au projet pilote du département du 100% inclusif où j’ai pu amener des éléments. Avant mon accident, j’adorais l’eau mais je n’avais pas pu retourner à la piscine de Craon à cause de son vestiaire non accessible. J’ai pu donc visiter la piscine et évaluer les aménagements nécessaires avec le directeur de la piscine pour la rendre accessible. Fin 2020, victoire : la piscine est désormais accessible aux personnes handicapées moteur. Enfin, depuis que je fais partie de la liste, les autres élus se rendent compte des difficultés auxquelles je fais face, comme les trottoirs inaccessibles et j’ai observé une prise de conscience dans ma mairie vis-à-vis du handicap. Après tout, c’est légitime, 1 personne sur 6 est en situation de handicap.

 

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Julien Compan, 31 ans, élu municipal à Massy

Né à Marseille, j’ai déménagé à Massy où je vis depuis 8 ans. J’ai voulu participer aux réunions citoyennes de ma ville mais quand je suis arrivé il n’y avait pas d’interprète en langue des signes. J’en ai fait la demande et on m’a fait comprendre que pour une seule personne, cela n’en valait pas la peine. J’ai donc réuni 10 sourds de mon quartier en tant que citoyen. Ensemble, on a finalement pu bénéficier du service d'interprétation LSF, donner notre avis et faire évoluer le quartier. Ainsi, la loi de 11 février 2005 “pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées” est respectée à Massy depuis 2013.

Quand ils ont construit un nouveau cinéma dans la ville et que j’ai appris qu’il n’y aurait pas de sous-titres, on m’a convaincu de devenir le président de l’association dans laquelle j’étais bénévole pour porter collectivement une demande auprès de l'entreprise du cinéma. Ma demande a porté ses fruits ! Nicolas Samsoen, le maire a été au courant de ces multiples actions, il a trouvé mon profil de citoyen actif intéressant, et m’a proposé de devenir conseiller municipal. Je lui ai dit que je ne voulais pas être utilisé comme une personne handicapée qui participait à la diversité de la vie politique ; il a été respectueux concernant mon choix. Je suis aujourd’hui en charge de l’urbanisme. Mon intégration parmi les élus s’est plutôt bien passée, ils font des efforts, certains ont même appris la langue des signes. Comme j’ai un diplôme dans la construction, je suis tout à fait légitime pour le poste, il y a donc une certaine équité.

D’après l’article L2123-18-1, les personnes se trouvant en situation de handicap peuvent bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique aux frais de la commune. À cause de cette loi qui est discriminatoire et dévalorisante, je ne suis pas égal face un élu « valide », car je suis limité dans mes missions, je dois faire attention à ne pas dépasser le budget, à faire la demande... D'ailleurs, cette loi provoque un flou juridique et un cadre restreint dans mes droits avec la FIPHFP et la MDPH qui ne reconnaissent pas mon statut d'élu. Il n’y a pas de budget neutre dédié au handicap pour les élus en situation handicap, on doit prendre sur le budget de la ville, donc c’est la population locale qui paye pour moi et je ne trouve pas ça normal. Certaines personnes handicapées qui veulent se porter candidats peuvent être discriminées, car les personnes ne veulent pas voter pour un élu en situation de handicap, en se disant que cela coûte de l'argent à la ville. C’est pour ça que moi, je milite pour qu’il y ait un budget hors des communes et qu’on n’ait pas besoin de justifier quoi que ce soit pour compenser les besoins d’un élu handicapé lors de son mandat. J’ai contacté un expert de la CNSA qui m’a dit que je devais choisir entre un forfait surdité PCH pour ma vie personnelle ou la PCH pour la fonction élective pour le mandat, car il est interdit de cumuler les deux. De plus, mes indemnités d'élus sont comptées dans les ressources trimestrielles du foyer par la CAF, ce qui amène à une réduction des aides du foyer, car le seuil du plafond est dépassé.

Devenir élu n'est pas facile pour une personne handicapée, car la vie personnelle est forcément impactée par les organismes qui n'ont pas l'habitude d'avoir affaire à un élu handicapé. En ce moment, une loi est en cours pour désolidariser les revenus du foyer pour gommer cette injustice sociale. On est 7 élus sourds en France donc on a un groupe d’échange pour nous soutenir et nous donner des conseils. Globalement, il n’y a pas assez d’élus handicapés en France et ils sont rarement médiatisés. Avoir une plus grande diversité de personnes au pouvoir permettrait une meilleure représentation. Il faut qu’on trouve le moyen de vivre ensemble, et que personne ne soit mis de côté.

 

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Karine Marin-Roguet, élue municipale à Bouray-sur-Juine

J’ai 48 ans, je suis cadre à la mairie de Paris et j’ai été élue à Bouray-sur-Juine l’été dernier. Ça fait deux ans que j’y vis et avant d’y emménager, j’avais rencontré quelques élus, c’est comme ça qu’ils m’ont proposé de m’inscrire sur la liste des municipales de la majorité. Je suis conseillère municipale sans poste particulier, mais je participe à la commission finance au vu de mes bases techniques acquises grâce à ma participation au suivi du budget à Paris. J’ai également une expérience d’attachée de presse, donc j’ai aussi aidé à rédiger des tracts pour la campagne et on me consulte souvent pour des éléments de communication.

Lors de la campagne, il n’y avait pas encore la crise sanitaire ni les masques, donc j’avais juste à placer mon équipement fourni grâce à mon travail à la Mairie de Paris. Cet équipement, composé de quatre micros avec un récepteur connecté en Bluetooth, me permet d’entendre plus clairement grâce à la transmission du son dans mes appareils auditifs. Mais maintenant avec les masques, cela me demande d’autant plus de concentration pour comprendre. Les autres élus s’efforcent de l’enlever pour faciliter la lecture sur les lèvres, mais lorsque le masque n’est pas baissé, cela m’empêche de comprendre et je préfère m’en aller. Ce serait plus facile si tout le monde avait des masques inclusifs, mais pour autant je ne me vois pas demander cet investissement à la mairie.

Comme c’est une petite commune de 2 000 habitants, je ne veux pas faire peser la compensation de mon handicap sur le budget de la ville. Heureusement, toute l’équipe municipale fait attention. Le maire fait des tours de paroles pour éviter que tout le monde ne parle en même temps, et il est particulièrement attentif à chaque réunion de ma bonne compréhension. J’ai rejoint l’équipe parce que ce sont des personnes que j’apprécie, donc comme dans toute relation humaine ils prennent en considération ma surdité. Moi j’ai l’habitude de m’adapter, mais c’est surtout au niveau de la fatigue que je le ressens parce que je cours après les informations. Par exemple, les micros en réunion sont très utiles, mais tout ce qui se dit en « off » dans le couloir je peux pas le suivre. J’ai tendance à m’auto-exclure de certaines initiatives, comme les commissions participatives en présentiel. Parfois je culpabilise, parce que les autres élus impulsent plein de choses auxquelles j’aimerais participer, mais pour me préserver je ne le fais pas. J’ai trouvé une sorte d’équilibre, certes je ne participe pas à la hauteur de ce que j’aimerais dans l’idéal, mais l’idéal n’est pas de ce monde.

Dans la vie de tous les jours, comme au travail, cela demande tellement d’énergie, alors s’engager en plus en politique, cela peut devenir très compliqué. Pour n’importe qui, ce travail demande beaucoup d’implication. Quand on est une personne en situation de handicap, rien que sortir de chez soi c’est compliqué, donc pour arriver à un poste de représentation il faut être surhumain.

 

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Dorine Bourneton, 47 ans, conseillère municipale à Boulogne-Billancourt

Je suis chargée d’études RSE pour une banque privée et référente handicap. Je suis également pilote et présidente de l’association « Envie d’envol » qui s’est donné pour objectif d’enseigner la voltige aérienne aux personnes handicapées. Je suis aussi une ambassadrice d’une marque de cosméceutiques suisse. Et depuis l’année dernière, je suis conseillère municipale en charge du quartier 3, le quartier où je réside depuis 6 ans.

C’est tout naturellement que j’ai accepté ce rôle lorsque le maire, Pierre Christophe Baguet, me l’a proposé. Non parce que je suis engagée politiquement, mais parce que j’ai envie de me rendre utile aux autres. C’est une expérience phénoménale que je ne pouvais pas refuser. L’occasion d’apprendre plein de choses sur la vie de la Cité, les sujets d’actualité de la ville, d’être dans le concret. Je n’y connaissais absolument rien et petit à petit, je me forme aux côtés d’autres élus qui me conseillent et m’accompagnent dans la bienveillance. Un rôle que j’ai pris à cœur et que je trouve passionnant. Je ne regrette pas une seule seconde d’avoir dit « oui » à Boulogne-Billancourt

Toute l’équipe municipale est à l’écoute et j’apporte un nouveau regard, pas forcément lié au handicap ou à l’accessibilité, mais aussi en lien avec mon histoire et ma personnalité. Une fois par semaine par exemple, nous abordons les sujets d’actualité et chaque mois nous organisons des tournées de propreté, pour se rendre compte des anomalies et les relever. Je ne sais pas si c’est le fait que je sois plus près du sol, mais j’observe parfois des choses que les autres ne voient pas. J’avoue n’avoir aucun domaine d’expertise, je découvre tous les sujets à la fois, c’est pourquoi je suis toujours époustouflée du travail de celles et ceux qui sont sur le terrain chaque jour. Boulogne-Billancourt est une très belle ville, avec de nombreux services à disposition de ses administrés. Il fait bon vivre à Boulogne-Billancourt. Et pourtant j’ai découvert que c’est quelque chose qui parfois, est oublié…

J’estime avoir beaucoup de chance. Dans mon quartier, tout est neuf : les immeubles sont sortis de terre il y a 6 ans et donc accessibles pour les personnes handicapées moteur. C’est un peu le paradis des paraplégiques ici et cela se voit : beaucoup de personnes en fauteuil qui se promènent librement. Elles sont libres et visibles. Épanouies !

Je connais d’autres personnes en situation de handicap qui ne sont pas encore suffisamment représentées. La société change petit à petit, les mentalités bougent, les entreprises se mobilisent. On a fait un grand bond en avant ces dernières années. Régulièrement, je suis invitée à venir témoigner dans des centres d’accueil pour les personnes en situation de handicap. Je partage avec elles mes rêves d’aviation et surtout, comment j’ai réussi à exister dans ce milieu que l’on perçoit comme inaccessible. J’essaie de leur transmettre mon enthousiasme, ma passion, mes envies de toujours me dépasser pour aller plus loin, plus haut, ensemble, pour le bien commun. Je veux surtout leur dire qu’on a tous un rôle à jouer, notre contribution à apporter, pour faire changer le monde.

 

William Renault

 

William Renault, 52 ans, élu municipal à Lavaur

Je suis entré dans la vie politique en proposant mon aide dans la commune de Lavaur où je connaissais bien le maire. J’avais le sentiment qu’il restait encore des actions à mener et je voulais participer à leur accomplissement. La campagne s’est bien passée, mais se montrer, être visible quand on est en situation de handicap et qu’on n’y est pas habitué, ce n’est pas toujours facile.

Très vite, j’ai eu un mandat à la délégation en charge de l’accessibilité et du handicap. Le fait d’être handicapé et de s’occuper de l’accessibilité ne facilite pas forcément les choses car il y a une incompréhension : l’accessibilité, c’est pour tous et pas seulement pour les personnes en situation de handicap. Par exemple, un parent avec une poussette n’est pas handicapé mais a besoin de l’accessibilité de la voirie. De plus, je ne représente pas toute l’accessibilité parce que celle-ci concerne tout type de handicap. Heureusement pour moi, je ne les cumule pas tous !  De plus, ce poste correspond moins à ma situation de handicap qu’à ma formation par la Direction Départementale des Territoires (DDT). Il faut être féru pour être élu : cela nécessite des connaissances et des compétences !

La mairie m’est totalement accessible, mais sur les chantiers avec les professionnels de terrain, c’est une question d’habitude. Au début quand j’arrivais en fauteuil roulant, ils étaient étonnés et n’avaient rien préparé pour moi. Maintenant, quand j’arrive, le secteur est aménagé afin que je puisse accéder au chantier. J’ai mis des années à me faire financer un véhicule aménagé et les relations avec la MDPH, sont une vraie complexité ! À mon sens, les personnes en situation de handicap sont trop souvent transformées en « mendiants administratifs », tout le monde devrait avoir accès à ses droits sans même avoir à les demander.

Il existe une loi pour mettre en place des dispositifs spécifiques pour les personnes en situation de handicap élu. Mais étant issu du monde médical, j’ai des revenus suffisants, je n’ai donc pas souhaité utiliser ces aides, je ne veux pas profiter de la société. Mais globalement, pour une personne qui n’a pas trop les moyens, si la commune ne souhaite pas faire de compensation, c’est sûr que ce sera compliqué pour elle. La personne en situation de handicap n’aura pas les mêmes droits que les personnes ordinaires, c’est une des limites à la représentation. Pourtant, ce n’est pas ce que prévoyait la loi de 2005 qui devait permettre à chacun d’accéder à toutes les strates politiques.

Je suis toujours embêté quand dans l’équipe municipale, il n’y a pas de personnes en situation de handicap, il faut que les élus soient plus représentatifs. Je suis aussi gêné quand on utilise notre image uniquement pour montrer la diversité. Moi je ne suis pas là pour faire bien sur la photo mais pour dire qu’on a le droit d’exister et de participer pleinement à la société.

 

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