Chroniques du monde d'après

A la suite du confinement et de la crise du COVID-19, comment penser le monde d'après ? Les personnes en situation de handicap répondent.

Lundi 18 mai

Philippe, 40 ans, infirme moteur cérébral

Être en situation de handicap a accentué les impacts liés au confinement. J'ai eu l'impression d'être doublement enfermé ; d'abord, je le suis par la nature même de mon handicap et de par le contexte si particulier et inédit du confinement.

Je suis auteur, conférencier, formateur en entreprise notamment dans le domaine du Handicap et de l'inclusion et membre du CNCPH (Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées) en tant que " Personne qualifiée" depuis janvier 2020. Je suis Infirme Moteur Cérébral athétosique depuis ma naissance sans l'usage de la parole. Je suis totalement dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne.

Je suis référent francilien de la plate-forme nationale http://solidaires-handicaps.fr. Cet élan d'initiatives m'émeut de par la gratuité, la générosité et la diversité dont témoignent nos concitoyens durant une période qui aurait pu se traduire uniquement par du repli sur soi et de l'indifférence. J'ai également essayé de mettre en place un réseau local au sein de ma résidence afin de développer une solidarité entre voisins, en particulier entre personnes âgées, personnes isolées, personnes en situation de handicap.

Je travaille beaucoup. J'essaie d'avancer sur mes différents projets. Pendant le confinement, j’essayais de faire quotidiennement une promenade dans mon quartier pour m'aérer, sinon je déprimais. Je n'ai pas l'habitude de rester aussi longtemps chez moi. Mon principal problème était l'isolement social. La plupart des activités que j'apprécie, la majorité des projets sur lesquels je travaille, et la totalité des activités de loisirs de vacances ont été mis à l'arrêt.

Je suis dès à présent prêt à poursuivre mes activités à peu près "normalement", même si, je le sais, il va falloir prendre toutes les précautions nécessaires. En tout cas, je n'envisage pas en ce qui me concerne de ne pas reprendre au plus vite un agenda complet dont j'avais l'habitude. J’aimerais passer des bons moments en famille et quitter la région parisienne pour des vacances ressourçantes. Je souhaite également prendre part à la construction du "Monde d'après" ! Ouvrir une brèche pour que notre société soit nettement plus inclusive ; que chacune, chacun puisse y trouver sa place, grâce notamment à notre "pouvoir d'agir" collectif.

 

Mercredi 20 mai

Agathe, 25 ans, sourde

Je suis étudiante en droit de la concurrence et des contrats à l’université Paris-Saclay et élève-avocate.

Le confinement a surtout chamboulé mon planning, qui pour une fois était bien rempli. Tout est devenu incertain et il n’y avait pas grand-chose à faire à part attendre que la situation se précise. À côté de mes proches qui sont en télétravail et qui ont conservé un bon rythme, j’ai eu du mal à trouver mes marques et rester active. Mes cours étaient quasiment finis et je n’étais pas sûre de pouvoir réaliser mon stage de fin d’études. Je me suis donc concentrée sur la rédaction du mémoire de Master, la préparation du stage et les formations en ligne dans le cadre de l’école d’avocats. Ce n’est pas toujours évident de rester productif, car comme beaucoup j’ai succombé à l’appel des jeux vidéo en promotion pour l’occasion…

J’ai la chance de bien vivre le confinement, avec mes proches (et un jardin !). C’était donc l’occasion de ralentir un peu le rythme. Cette période m’a aussi permis de prendre conscience que je prends beaucoup de choses comme acquises alors que tout peut basculer très vite. Donc dès que j’en aurai l’occasion, je compte bien profiter des personnes que j’apprécie et de toutes les opportunités !

Je dirais que le handicap (la surdité) m’a aidée à relativiser. Quand on a ce petit truc en plus, on est habitué à faire face à l’adversité, à voir les solutions plutôt que les problèmes. Et cela m’a aidée à ne pas me décourager, quand j’ai vu certains projets compromis ou devenir incertains. Au lieu de cela, pour mon stage par exemple, avec l’équipe qui m’accueille, nous avons tout mis en œuvre pour qu’il ait lieu malgré tout. Quand tout le monde y met du sien, beaucoup de choses deviennent possibles.

En revanche, je suis un peu plus anxieuse à l’idée de sortir maintenant, surtout par rapport aux masques. Quand on est sourd ou malentendant, la lecture labiale, l’expression du visage, sont nécessaires pour comprendre. Ne plus avoir ces repères est assez déstabilisant. Après, la plupart des personnes que j’ai rencontrées ont accepté de retirer leur masque pour me parler. Les gens sont bienveillants vis-à-vis du handicap et très compréhensifs.

Aussi, les solutions à distance se sont beaucoup développées, que ce soit pour les cours ou dans le cadre professionnel. J’ai l’impression que cela risque de durer encore longtemps. J’appréhende un peu cet aspect, surtout dans un métier oral comme la profession d’avocat. Faire des réunions, négocier, voire plaider en visio, tout cela risque d’être plus compliqué. Mais encore une fois, il y aura certainement des adaptations possibles. Et au cours des entretiens que j’ai pu passer pour mes stages, j’ai rencontré des professionnels très ouverts, prêts à trouver des solutions. Cela a été très encourageant et rassurant pour moi, et j’espère que ça le sera pour beaucoup d’autres !

De manière générale, ce qui est positif, c’est la plus grande visibilité qui est donnée à la langue des signes et à la surdité. La présence des interprètes lors des discours officiels, le recours à la vélotypie (méthode de saisie rapide du texte, qui permet le sous-titrage en temps réel), ça a été un vrai coup de projecteur. Il y a encore du chemin, parce que cela a aussi montré à quel point la surdité, pourtant courante, est finalement très mal connue, mais j’espère que cela continuera d’évoluer !

 

Vendredi 22 mai

Salim, 28 ans, aveugle

J’ai plusieurs facettes dans la vie. En temps normal, je suis conférencier en entreprises autour des thèmes tels que le travail en équipe, le dépassement de soi et l’optimisme. J’ai aussi écrit un livre autour de mon activité de cavalier, et j’étais aussi kinésithérapeute jusqu’en 2016. J’essaie dorénavant de me former à la visio, pour pouvoir dans le futur mettre en place des conférences en ligne.

Alors que ma plus grande difficulté liée au confinement était de ne plus voir mon cheval, ma plus grande joie à l’heure actuelle a été de le revoir et de reprendre mon activité physique. De plus, ces deux derniers mois m’ont fait beaucoup réfléchir sur la valeur du temps. Rester enfermé m’a permis de me mettre au sport, et je continue cette routine même aujourd’hui. Sinon, je continue d’écrire et je me forme aux logiciels informatiques. J’essaie de résister à l’appel de Netflix et de faire des choses utiles.

Finalement, les difficultés que je rencontre surviennent comme toujours à l’extérieur de la maison, lorsque je me confronte aux autres. Pendant le confinement, je suis allé faire les courses avec ma compagne et on s’est retrouvé face à un vigile qui nous a empêché de passer. Il a scruté pendant des heures ma carte d’invalidité, et nous a fait une réflexion à propos de la distanciation sociale. En effet, ma compagne qui a des soucis articulaires ne peut pas porter des choses lourdes, et je dois me tenir à son bras pour me repérer dans l’espace. Je suis en quelque sorte ses bras, et elle, mes yeux. Lors du déconfinement, un autre vigile n’a pas voulu me laisser entrer avec mon chien guide, soit-disant parce que j’étais déjà accompagné et que je n’en avais pas besoin. Le problème de fond est toujours là, on ne nous considère pas comme des citoyens, mais plutôt comme des « nécessiteux », le handicap est abordé à tort dans son aspect social. En tout temps, on devrait repenser nos actions individuelles et prendre un nouveau départ.

Ainsi, j’essaie de faire non pas, "malgré" mon handicap, mais "avec". Je ne peux pas conduire mais j’ai un boulot, une passion, et des projets, qui sont certes à l’arrêt pour l’instant, mais tout de même importants. On a traversé une période compliquée, qu’on a pu considérer comme une privation de liberté. Néanmoins, cela nous a permis de tirer des leçons, de ne pas se laisser piéger par le quotidien. Avant le confinement, on courait sans trop savoir pourquoi, attrapé dans « cette course sans fin qui ne mène nulle part ». On doit donc se servir de cette opportunité pour créer quelque chose de plus juste, améliorer l’équité et la représentation de chacun.

 

Lundi 25 mai

Jérôme, 44 ans, sujet à des crises d'angoisse.

Cette période n’a pas changé grand-chose pour moi. Malgré mon handicap psychique et mes excès d’angoisse, j’ai bien vécu mon confinement. J’ai eu une fringale de lectures, j’ai avalé des dizaines de livres. Je sortais également faire ma demi-heure de marche tous les jours, toujours accompagné de mon attestation dérogatoire.

Bien que ma routine de vie n’ait pas été bouleversée par le dé-confinement, j’ai quand même été euphorique de pouvoir sortir de chez moi librement. J’ai pu reprendre ma visite hebdomadaire à l’hôpital de jour.

Je ne sais pas si le dé-confinement marque une fin « officielle », on ne possède aucune certitude encore, peut-être qu’on sera de nouveau confinés. Pour moi, cette parenthèse liée au covid-19 n’aura pas d’impacts à long terme et je n’ai pas réellement noté de changements profonds dans la société. À l’échelle individuelle, cela pourra peut-être faire réfléchir les gens sur la vie et la mort.

 

Mercredi 27 mai

Ryadh, 49 ans, amputé des membres inférieurs et supérieurs

Je ne pense pas qu’il y ait un avant et un après, « l’après » est encore en chantier : soyons les architectes de demain.

Je n’étais pas prêt à ce type de situation, personne n’est vraiment prêt à ça. Certaines décisions ont été dramatiques. Le fait d’avoir agi dans une forme d’urgence a laissé sans solutions les personnes handicapées, vulnérables et isolées, rendant la crise sanitaire redoutable pour celles-ci.

Ainsi, lorsque le confinement a été annoncé, la première des choses a été d’engranger une dynamique sociale. Je suis fondateur d’une association nommée CAPSAAA (Sport Arts Aventure Amitié), nous avons donc essayé d’utiliser nos réseaux et nos connaissances pour embarquer d’autres associations dans notre collectif. En effet, une partie de nos bénévoles et salariés ont de l’énergie à revendre et ont pu apporter des aides alimentaires, faire des masques, etc.

Depuis le dé-confinement, il est plus facile de se déplacer, mais pour le moment, cela reste très dur pour les personnes en situation de handicap. Certes, les écoles ont rouvert, mais la majorité des activités favorisant le lien social n’ont pas repris. Le sport, représentant une véritable bouffée d’oxygène pour tous les jeunes isolés, est toujours en suspens.

Cette période a confirmé la vision que j’ai du monde. Il faut qu’on cohabite avec le vivant, qu’on respecte les cycles, et être plus vigilant à l’avenir. Je pense qu’il y a deux approches qui vont s’opposer : le monde « d’avant » qui va vouloir rattraper le monde « d’après », et le monde qu’on n’aurait jamais dû quitter, le monde du durable, du raisonnable.

 

Vendredi 29 mai

Emmanuel, 50 ans, papa de Margaux, polyhandicapée

Ça m’étonnerait qu’un simple virus change les mentalités. Ce besoin de consommer, de vouloir tout immédiatement, est trop ancré dans l’esprit des gens. Le changement sera générationnel, il faudra un paquet d’années pour que ça change.

 

On a eu de la chance avec Margot pour le confinement. Étant père célibataire, et sa mère travaillant en pharmacie avec des personnes potentiellement à risques, lorsque l’établissement médico-social a décidé de ne plus ouvrir à l’exception de l’internat, j’ai préféré aider Margot à la maison. Nous habitons un petit village avec un extérieur. Tous les matins, nous faisions une grande balade, et avions l’opportunité de nous aérer régulièrement.

 

Ma fille n’a pas vraiment de juste milieu, soit elle va très bien et rigole toute la journée, en pleine forme, soit c’est compliqué, elle ne dort pas et a besoin de soins particuliers. J’ai de la chance de me débrouiller en paperasse, en bricolage pouvoir lui faciliter le quotidien, je discute avec des aidants qui n’ont pas cette chance. De plus, alors que les médias affichent toujours plus de solidarité, la réalité est toute autre. Je suis très peu dédommagé alors que je travaille 24h sur 24 et que je réalise des actes infirmiers très pointus. Le département ne fait pas son travail et ne m’a pas versé la PCH (Prestation de Compensation du Handicap) pendant trois mois, ajoutant une dose de stress à la situation déjà difficile. 

 

Depuis le dé-confinement, on n’a pas changé grand-chose, je continue de limiter mes sorties et de rester très prudent. Je n’ai pas repris d’activité professionnelle. Je vais aider ma fille jusqu’à fin juillet. En effet, rester à l’écart permet de protéger Margot ainsi que moi-même. J’ai de l’emphysème, une dégradation des alvéoles pulmonaires, ce qui fait que j’ai perdu 40 % de mes capacités respiratoires, me rendant également vulnérable au Covid-19.

 

Quant au « Monde d’après », j’adorerais voir moins de mondialisation, plus de consommation locale, plus de solidarité… Malheureusement, je ne vois pas l’humain comme un être raisonnable. J’espère aussi que les gens qui ont fui les grandes villes pour s’éloigner du virus, ceux qui avaient les moyens d’aller dans leurs résidences secondaires, de pouvoir payer les amendes lors d’un contrôle éventuel, auront un regard différent sur les gens qui fuient la guerre et les oppressions pour vivre dignement. Si cette prise de conscience n’a pas lieu, les migrants continueront de se noyer dans la mer, et la crise actuelle n’aura servi à rien.

 

 

Lundi 1er juin

Audrey, 33 ans, sourde

Je suis avocate et assistante à l’université en Belgique, et j’ai passé le confinement en télétravail. Même si le confinement ne s’est pas vraiment accompagné d’une baisse de rythme, je l’ai vécu comme une parenthèse bienvenue dans ma vie quotidienne, parenthèse qui m’a permis de faire le point sur mes envies, mes objectifs, mais également et surtout de passer plus de temps en famille.

L’université de Liège a été fermée pendant le confinement, les cours se sont donnés à distance et c’est le cas aussi des examens actuellement. Par ailleurs, la totalité des audiences ont été suspendues, à l’exception des affaires en extrême urgence. J’ai précisément eu une affaire de ce type, ce qui m’a obligée à plaider par vidéoconférence. C’était une expérience très étrange, car nous avons l’habitude d’un certain formalisme lors des audiences, qui se déroulent, devant le Conseil d’État, en toge et dans de grandes salles chargées d’histoire. Au contraire, en vidéoconférence, les avocats et les magistrats sont filmés chez eux, dans leur sphère privée, et en vêtements décontractés.

Pour le reste, malgré la fonctionnalité des sous-titres automatiques, qui m’a un peu aidée, l’audience par vidéoconférence était bien plus difficile à suivre qu’une audience physique. Cependant, j’ai pu compter sur la bienveillance des magistrats face à mes difficultés. Les juridictions ont privilégié le recours à la procédure écrite pendant le confinement, et la plupart des réunions se sont faites à distance. Là aussi, le recours croissant à la vidéoconférence m’a fait prendre conscience de la nécessité de certaines adaptations — comme l’interprétation à distance en langue des signes ou la retranscription écrite — les sous-titres automatiques ne suffisant pas à une compréhension aisée de la conversation à distance.

Maintenant que les mesures liées au Covid-19 ont été petit à petit levées, les réunions et audiences physiques peuvent reprendre, ce qui est un soulagement, même si je suis contrainte de demander aux personnes de retirer leur masque, pour pouvoir lire sur leurs lèvres.

Le confinement a permis une certaine visibilité de la langue des signes, ce qui m’a réjouie, et j’espère que les efforts seront poursuivis à ce niveau-là. En revanche, je crains que le coronavirus n’ait relégué la lutte contre le changement climatique en bas des listes des priorités de tout un chacun, ce qui me désole. Je pense aussi que la reprise des contacts humains, surtout pour les personnes handicapées, est très importante — pour moi, en tout cas, elle constitue un réel contentement !

 

Mercredi 3 juin

Julien, 40 ans, déficient auditif

Je suis un homme issu de la diversité culturelle, ayant un handicap que je décris comme « petit ». Rien ne m’empêche réellement de vivre comme tout le monde. Je suis un peu comme une personne qui porte des lunettes.

Je travaille dans le milieu du conseil, de la banque et j’ai une formation d’expert comptable. Je suis en train de monter une Socialtech : « pour » et « par » les personnes en situation de handicap, qui permettrait de prendre en compte leurs problématiques spécifiques au niveau de l’accessibilité bancaire. En effet, 89% des déficients visuels se sont déjà fait arnaquer lors d’un payement par carte. Il s’agirait donc d’oraliser les opérations commerciales, pour éviter ce genre de problèmes.

Pendant le confinement, ce qui est assez extraordinaire, des grands groupes se sont intéressés au handicap, dû à des « creux » dans leurs plannings. Le fait d’être en télétravail, le handicap est devenu un sujet pouvant être traité à distance. Siégeant au CNCPH (Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées), j’ai eu donc beaucoup de travail, et cela continue d’ailleurs même après le déconfinement.

J’ai pour ma part adoré cette période, j’ai noté une plus grande entraide, notamment dans le voisinage. Je suis un nouveau jeune papa, donc j’étais loin de m’ennuyer avec ce nouveau rythme de vie. Le fait de rester chez soi a constitué un gain de temps également, où j’ai pu me recentrer sur ma famille, sur mon travail, et sur les choses essentielles (sans perte de temps liée au transport par exemple).

Néanmoins, le « Monde d’après » est pour ma part très utopique. Dès le lendemain du confinement, tout le monde a repris sa vie normale et les vieux réflexes reviennent au galop. La pollution revient, et la consommation à outrance est encore une réalité extrêmement prégnante dans la société. De plus, la société inégalitaire a tendance à laisser les personnes handicapées sur la touche.

J’espère que les nouvelles préoccupations pour le handicap déployées pendant le confinement pourront continuer, et qu’on pourra faire avancer les choses pour qu’il y ait un « monde d’après ».

 

Vendredi 5 juin

Noémie, 43 ans, sourde

Pour le Monde d’après : j’avais espéré une prise de conscience de la fragilité de la terre, à quel point nous avons besoin d’elle (elle, n’a pas besoin de nous !), de la possibilité à faire changer le fonctionnement de la société, plus ciblée sur l’écoresponsabilité. Les efforts sont là, mais est-ce un mirage....? Un trompe-œil ? Et quand je vois des masques par terre dans la rue, mes espoirs s’évanouissent rapidement... Pour faire bouger les choses, il faut commencer par soi et s’autodiscipliner et de ne jamais se dire que ça ne vaut plus la peine de faire des efforts. Ne pas se décourager. Mon objectif actuellement c’est maintenir la croyance qu’il est possible d’évoluer, et ENSEMBLE

Je suis directrice de l’association Média’Pi ! qui propose plusieurs projets : Média’Pi ! l’actualité en LSF et français écrit, Open-Sign, une plateforme européenne gratuite proposant des ressources pédagogiques accessibles à tous visuellement, et le magazine Art’Pi ! qui relève l’Art Sourd, il est actuellement en veille.

Le confinement a été une période qui m’a progressivement fait devenir casanière. Le fait de vivre à plusieurs aide à garder le moral. Paradoxalement, être confiné avec ses colocs pendant plus de 70 jours, le relationnel pouvait être moins facile à supporter. Il nous fallait faire preuve d’intelligence pour continuer à cohabiter ensemble, à relativiser, et ne pas oublier que nous sommes confinés par force et non par choix. Je dois maintenant me réhabituer à sortir, stimuler mes envies de sortir et d’y rester longtemps. Personnellement, j’ai accueilli sereinement l’injonction du confinement. C’était pour une bonne chose, pour protéger tout le monde. Régulièrement j’applaudissais à 20 h au balcon pour toutes les personnes qui travaillaient à éradiquer la pandémie. Il y avait toujours des choses à faire pendant mes heures libres... On se plaint toujours de n’avoir jamais le temps, on ne va pas se plaindre d’en avoir trop. Et l’ennui est une bonne chose à se réapproprier.

Pour mon association, cette période a été particulière, nous avons une équipe très soudée, et nous perdions le contact humain au profit de la webcam. Une alternative pratique, mais quelques salariés ne participaient pas aux mêmes réunions et ne voyaient donc pas certains d’entre nous. Le télétravail a ses commodités, mais aussi ses complications, surtout quand il faut gérer les enfants à la maison, ou qu’on ne supporte pas bien l’isolement.

Il y a un autre constat, une évolution de l’accessibilité pour les allocutions gouvernementales. Nous sommes souvent très frustrés de voir des interprètes dans les médaillons. Nous n’avons hélas pas les moyens d’agrandir l’écran de la TV, comme sur portable, malgré de nombreux rappels de la FNSF (Fédération Nationale des Sourds de France) pour la qualité d’intégration de l’interprète à l’image.

Ce coronavirus a réussi à faire changer la donne : nous avons eu du mal à réaliser quand nous avons vu le 25 mars 2020, une interprète présentielle à côté du Président Emmanuel Macron pour son discours à Mulhouse. Cela a eu l’effet d’une bombe sur les réseaux sociaux. Les sourds ont été pleinement ravis, une impression de remercier le messie. Nous avons pu suivre son allocution très confortablement.

Allait-il en être ainsi à l’avenir ou était-ce une exception ? On a bien vu depuis des années que c’est un combat de longue haleine et qui dure… Il y avait toujours la question du budget… Mais aussi du manque de la prise de conscience que nous sommes aussi des citoyens. J’ai lu des réactions des personnes qui ne comprennent pas pourquoi les sourds ne se contentent pas du sous-titrage. D’une part, la Langue des signes française est une langue qui appartient naturellement à la communauté Sourde, c’est une langue qui s’est créée du fait de notre canal visuel. Nous la souhaitons donc dans le traitement des informations. Et d’autre part, le gouvernement n’encourage pas une éducation bilingue en français et en langue des signes dans le parcours d’un élève Sourd. Ce choix a longtemps, et continue encore aujourd’hui, de provoquer pour beaucoup d’enfants Sourds un déséquilibre dans l’apprentissage, et notamment du français. Pour certains le français n’est pas maîtrisé. C’est un scandale, j’en conviens, mais cela durera aussi longtemps qu’il y aura un manque d’échange entre le gouvernement et les personnes professionnelles de l’éducation des enfants Sourds.

En tout cas il y a eu beaucoup d’innovation de la part de la communauté sourde pour compenser le manque de contact et d’activités : Il y avait des créations de live-conférence, interview, même de one-man-show, des clips de chansigne, des web-cours de gym… Une effervescence de création ! Cela en était impressionnant et réjouissant. Pour les enfants Sourds, cela a été difficile, car il y a eu peu d’outils accessibles sur le Net. Certains parents ne savent pas communiquer avec eux, donc comment enseigner… ? Il y aura sûrement des difficultés pour ces enfants à rattraper le programme scolaire.

Le déconfinement arrive bientôt pour nous, nous reprenons le bureau le 8 juin. Comment ça va être ? Notre langue est la langue des signes. Nous avons besoin d’avoir accès aux expressions du visage, pour que ce soit plus confortable. Ça va être drôle… Affaire à suivre.

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