Aider les aidants !

Depuis le 17 mars 2020, le confinement a été un facteur notoire de dépression chez certains aidants : 53% de ceux qui accompagnent au moins une personne en situation de handicap psychique présentent un « niveau de dépression significatif »[1]. Lors de la crise sanitaire, 30% des répondants de l’enquête menée par l’UNAFAM et l’hôpital du Vinatier de Lyon ont signalé avoir pris la décision d’accueillir chez eux leur proche ou d’aller à leur domicile pour mieux l’accompagner. Pour Romain Rey, médecin psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier, c'est un chiffre significatif « car cela traduit clairement le rôle majeur des aidants qui se positionnent souvent en première ligne pour soutenir leur proche ».

Ils sont 11 millions d’aidants familiaux[2] accompagnant au quotidien un proche en situation de dépendance, en raison de son âge, d’une maladie ou d’un handicap. Selon l’article 51 de la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, l’aidant(e) est la « personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne.[3] » Les tâches effectuées par les aidants pour un proche sont variées et parfois très lourdes : qu’il s’agisse de pratiquer des soins, faire sa toilette, faire les courses, faire le ménage, organiser les rendez-vous médicaux, effectuer les démarches administratives, gérer l’entrée dans un centre de soins, une maison de retraite… Ainsi, les aidants peuvent prendre le rôle de vrais professionnels et effectuer des actes qui demanderaient une formation là où eux n’en reçoivent aucune.

Emmanuel P., 50 ans, résidant à Saleilles dans les Pyrénées-Orientales, est aidant familial de sa fille Margaux. Celle-ci a 21 ans et est polyhandicapée. Elle est suivie en IEM (Institution d’Éducation Motrice) : ce type de structure accueille des enfants jusqu’à l’âge de 20 ans, avant de les orienter vers des Maisons d’Accueil Spécialisé (MAS). Il y a donc une rupture dans le parcours : jusqu’à 20 ans, les institutions semblent collaborer de manière souple et ouverte avec les parents et à partir de 20 ans, les personnes changent de lieu d’accueil, et leur quotidien bascule. L’internat devient la règle, ce qui peut ne pas convenir aux familles. Le choix de ce système est influencé par des critères budgétaires. Ce passage avant/après est brutal, censé se faire à 20 ans. Il peut être décalé (amendement Creton) si la famille ne trouve pas de structure adaptée. C’est le cas de Margaux, qui vit entre l’IEM et le logement de ses deux parents séparés.

Emmanuel a toutes les casquettes, aide soignant, infirmier, assistant social. Il doit lui faire sa toilette, l’alimenter, et aussi réaliser des actes infirmiers qui peuvent avoir des lourdes conséquences. Par exemple, il lui fait des injections intra-rectales quand c’est nécessaire, dont les doses doivent être minutieusement respectées, et cela sans n’avoir reçu aucune formation. Également, il joue son rôle de père ; il partage des moments de tendresse et de loisir avec elle.

Remplir ses fonctions et travailler sont deux éléments difficilement conciliables. C’est pour cela que les aidants familiaux sont rémunérés. Mais combien ? Emmanuel perçoit 5,91 euros net de l’heure. Les horaires sont calculés en fonction des actes qui sont minutés par l’administration (15 minutes pour une douche, 5 minutes pour les toilettes…) Le temps passé en réalité dépasse souvent le cadre fixé dans les textes. Surtout, qui peut vivre avec 5,91 euros net de l’heure ? En outre, Margaux demande une surveillance permanente nettement supérieure aux heures comptabilisées.

Autre problème : Emmanuel et la mère de Margaux sont séparés. Dans cette situation pourtant courante, la CAF n’accorde qu’un seul numéro d’allocataire, si bien qu’un seul des parents perçoit l’ensemble des allocations allouées et doit en reverser la partie correspondant aux heures effectuées par l’autre parent. Comme de nombreux couples séparés, Emmanuel et la mère de Margaux ont des difficultés de communication, qui les ont ainsi conduits à des années de procédures pour régler un litige qui aurait pu être d’emblée encadré par une décision claire de la CAF. Par ailleurs, championne de la complexification du quotidien, l’administration française exige nombre de documents et de son côté n’est pas aussi pointilleuse : le dossier de Margaux n’ayant pas étant traité dans les délais, Emmanuel n’a rien perçu pendant les mois de confinement. La permanence juridique « Urgence Handicap Covid-19 » reçoit chaque fois des demandes de personnes en situation de handicap confrontées à une administration qui ne répond pas, ou qui les laisse dans des situations inextricables.

La crise sanitaire que nous venons de traverser doit nous permettre d’ouvrir les yeux sur ces milliers d’hommes et de femmes qui prennent soin de leur proche et méritent une véritable reconnaissance au-delà d’applaudissements symboliques. Comment améliorer le système ? Il est urgent de mettre en place un salaire décent, une simplification des démarches, une formation adaptée et une écoute pour les aidants. On est en droit d’attendre de l’administration une attitude aidante, qui chercherait à accompagner ces familles chargées d’une histoire déjà assez complexe. Emmanuel, comme tant d’autres aidants, demande à ce que son quotidien soit plus facile. Il veut un revenu décent lui permettant d’être aux côtés de sa fille, sans avoir le sentiment de sacrifice. Il veut aussi avoir le choix et construire l’avenir de Margaux sans que celui-ci lui soit imposé par un cadre administratif intangible. Et si c’était le minimum ?

 

[1] https://informations.handicap.fr/a-confinement-et-psychiatrie-aidants-qui-perdent-pied-12896.php

[2] https://www.ocirp.fr/actualites/les-chiffres-cles-sur-les-aidants-en-france

[3] « Est considéré comme proche aidant d'une personne âgée son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, un parent ou un allié, définis comme aidants familiaux, ou une personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables, qui lui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne. » Article L. 113-1-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF)

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