Protection de l'enfance, notre analyse de la loi du 7 février 2022

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La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants a pour objectif d’améliorer le sort des enfants en situation de vulnérabilité.  Elle s’inscrit dans une dynamique de refonte de la politique publique de prévention et de protection de l’enfance à la suite de l’émoi provoqué par l’homicide le 12 décembre 2019 du jeune Jess, 17 ans, perpétré par un autre jeune de 15 ans. Ils étaient tous les deux confié à l’aide sociale à l’enfance et placés depuis huit mois dans un hôtel dit « social » de la ville de Suresnes.

A ce titre, ce texte a attiré l’attention de l’association Droit Pluriel sur quatre points.

Le premier point concerne la situation des enfants placés dans les hôtels « sociaux ».  Cette « solution » consiste à placer un mineur ou un jeune majeur confié à l’aide sociale à l’enfance dans des hôtels dits « sociaux », c’est-à-dire insalubres, où règnent l’insécurité et où le suivi des éducateurs est réduit à peau de chagrin.  
Dans ces hôtels notoirement miteux, ces enfants sont livrés à eux-mêmes et sujet à toutes les violences physiques et psychologiques. Muriel Salmona dans un billet de blog publié le 5 octobre 2012 sur Mediapart expliquait déjà en quoi ce silence assourdissant sur les violences faites aux enfants constitue une non-assistance à personnes en danger.

Que prévoit la loi à ce sujet ?

Un prolongement de ce silence et donc de ces violences jusqu’en 2024, date à laquelle le législateur promet d’interdire ces placements dans ces hôtels. L’association Droit Pluriel en tant qu’association en lien avec les personnes en situation de handicap ne peut-être que méfiante vis-à-vis de cette promesse législative reportant à des dates lointaines l’effectivité de mécanismes juridiques ou de promesses d’investissement nécessaire à la construction d’établissements dignes du principe républicain d’égalité.

Pour rappel et pour faire simple, la grande loi handicap de 2005, avait promis pour 2015 l’accessibilité de tous les établissements recevant du public – ce que promettait déjà en substance sa prédécesseure datant de 1975 -. Aujourd’hui, après de nombreux renoncements sur le fond, des ultimes reports peuvent encore courir jusqu’à…  2029, jusqu’à la prochaine salve de renoncements et de reports ?

Droit Pluriel est ses associations partenaires resteront vigilante sur cette promesse des pouvoirs publics.

Le second point concerne « l’exception handicap ». L’article 7 de la loi prévoit que par dérogation, le placement dans les hôtels ne pourra pas s’appliquer « dans le cas des mineurs atteints d'un handicap physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant, reconnu par la maison départementale des personnes handicapées. ».

L’association Droit Pluriel est gênée par une telle exception car elle considère que le principe même de maintien temporaire de cette possibilité de placement dans ces hôtels est à tout le moins, une rupture d’égalité.

Cela étant, Droit pluriel salue l’intention inclusive de cette disposition et le fera à chaque fois qu’une loi prend en compte les situations de handicap dans la mise en place de telle ou telle politique publique dès leur itération initiale. Mais à l’analyse, l’exécution de cette intention législative est à tout le moins, peu réfléchie.

Ainsi, on s’interroge sur l’efficacité même de cette exception pour deux raisons. La première tient au fait que les enfants en question se trouvent dans un contexte familial et social qui peut-être en rupture avec l’administration et à fortiori, peu familier des maisons départementales des personnes handicapées. La seconde, part du constat que 95% des mineurs hébergés à l’hôtel seraient des mineurs non accompagné (donc étrangers).

La combinaison de ces deux facteurs montrent à quel point cette disposition n’as pas été pensée avec la réalité sociale et dans une optique honnêtement inclusive. Parmi ces enfants relevant de l’un ou de l’autre de ces situations ou voire des deux réunies, combien d’enfant en situation de handicap ne sauront jamais ce qu’est une MDPH ou combien devront rester dans ces hôtels indignes avant que les démarches aboutissent et que l’on se rende compte que la loi a été violée ? Et dans ce cas, comment évaluer le préjudice pour ces enfants ? comment le réparer ?

Par ailleurs, l’association Droit Pluriel est circonspecte quant à l’obligation faite aux présidents des conseils départementaux de présenter ces mineurs étrangers non accompagnés aux services de l’Etat en vue de leur intégration dans un fichier national. Elle aurait plutôt préféré une obligation de vérification concrète que les enfants placés dans ces hôtels insalubres ne puissent pas bénéficier de l’exception handicap pour neutraliser les deux points évoqués plus haut.

Le troisième point est positif. Force est de constater l’intention du législateur de valoriser la parole de l’enfant. Ainsi, l’article 26 prévoit qu’il sera systématiquement auditionné en tête-à-tête par un juge des enfants. Il est également prévu que l’enfant pourra être plus régulièrement représenté ou défendu par un avocat ou un administrateur ad hoc. Le cadrage de la prise de parole de l’enfant par des professionnels du droit est un gage de qualité car elle permet de maximiser les possibilités pour celui-ci de libérer ses mots et se sortir plus facilement de la maltraitance qu’il subit de la part d’une personne ou d’une institution.

Quelques mots sur ce qui est présenté comme l’innovation principale de la loi, à savoir la création d’une définition légale de la maltraitance. A ce titre comme le pour le premier point, l’association Droit Pluriel en tant qu’association en lien avec le secteur du handicap reste méfiante vis-à-vis de ces définitions générales qui sur le principe rassemble un large consensus.

S’il est incontestable qu’elle présente une avancée jalon dans la désignation précise d’une situation sociale donnée, indispensable pour protéger juridiquement les personnes et leur permettre une appropriation de leurs droits, une telle avancée qui reste de l’ordre du discours juridique ne doit cependant cacher le chemin qui reste encore à faire dans ce qui est essentiel : leur concrétisation.

Autrement dit, la cristallisation juridique de la notion de maltraitance reste à ce stade un objet qui peut être saisi par les juristes, mais cela ne signifie pas qu’en soit, elle constitue une avancée sociale considérable. Un tel constat heureux ne pourra être déclaré que dans l’avenir, après que les décrets et arrêts d’application aient été édictés et que surtout l’année 2024 tienne ses promesses.

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