Violences faites aux femmes : tout n’a pas été dit !

Voilà des semaines qu’on en parle, qu’on en parle enfin : les féminicides, les violences conjugales, le viol, le harcèlement sexuel... Pourtant, à longueur de tribunes, d’interviews, de témoignages et d’analyses, il y a une réalité dont on ne parle jamais : 4 femmes en situation de handicap sur 5 sont victimes de violences.

Voilà des semaines qu’on en parle, qu’on en parle enfin : les féminicides, les violences conjugales, le viol, le harcèlement sexuel... On pourrait avoir l’impression que cette brutalité est désormais sur la place publique, aux yeux de tous et qu’on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas. Pourtant, à longueur de tribunes, d’interviews, de témoignages et d’analyses, il y a une réalité dont on ne parle jamais : 4 femmes en situation de handicap sur 5 sont victimes de violences. Les statistiques arrivent comme une gifle : 88% des femmes autistes sont victimes de violences sexuelles, 34% des femmes handicapées ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire [1]

Incroyable ? Non, au contraire : tellement logique puisque tout est là pour permettre et faciliter ces violences. Le regard social posé sur la femme en situation de handicap, dévalorisant et infantilisant, ne la considère pas comme une femme mais comme un être asexué. D’ailleurs, où sont-elles ces millions de femmes handicapées ? On n’en voit ni en politique, ni dans le monde du spectacle, ni dans la culture ni dans les médias. Qui peut citer le nom d’une femme handicapée célèbre ? Ces femmes sont invisibilisées. Elles ne trouvent leur place nulle part, pas question de les montrer. Assumer son corps, être fière, avoir confiance en soi devient alors compliqué. Cette honte de soi que la société impose aux femmes en situation de handicap est le terreau idéal pour que s’installe l’auteur de violences : « Tu ne vaux pas mieux que cela, tu es nulle et incapable, tu es un poids, tu es moche et monstrueuse. » La mise en danger est accrue par le fait que les coupables sont potentiellement ces mêmes personnes dont la femme dépend dans son quotidien.

Cette dépendance est organisée et renforcée par l’ensemble du système. Le manque d’accessibilité à tous les niveaux de la société oblige à solliciter en permanence un tiers. Aveugle, je ne peux pas retirer de l’argent dans un distributeur, en fauteuil roulant, je ne peux pas me déplacer librement dans les transports en commun, sourde, je ne peux envoyer ni un SMS, ni un mail pour prendre rendez-vous à l’hôpital. Cette inaccessibilité généralisée empêche toute autonomie. Par ailleurs, la grande précarité économique de ces femmes accentue leur dépendance. Elles rencontrent en effet d’immenses difficultés à accéder à la scolarisation, aux études et à l’emploi. Rappelons les chiffres [2] : seules 28% des femmes handicapées vont jusqu’au baccalauréat (52% pour l’ensemble des femmes), 19% d’entre elles accèdent aux études supérieures (31% pour l’ensemble des femmes) et enfin, 49% de ces femmes handicapées sont inactives (32% pour l’ensemble des femmes). Autre écueil : pour celles qui perçoivent l’Allocation Adulte Handicapée (AAH) comme unique revenu, cette prestation est supprimée dès lors que les revenus du mari ou du concubin dépassent un certain seuil rendant ainsi la femme totalement dépendante financièrement.

Le Grenelle contre les violences faites aux femmes incitait les victimes à s’émanciper : encore faut-il en avoir les moyens. De plus, lorsque la femme décide de dénoncer les violences dont elle est victime, il lui faut être entendue. Or, les femmes handicapées témoignent du peu de crédit parfois accordé à leur parole. La comédienne Mimi Mathy a résumé une certaine pensée dominante : mon physique me protège du viol. Insulte faite à toutes les femmes : la cause de la violence serait du côté du corps féminin, trop provocant, trop attractif.

Outre ces représentations dégradantes, le handicap joue souvent contre la victime. On doute du témoignage de la femme qui a été hospitalisée en psychiatrie ou concernée par un handicap mental. Les personnes placées en institution quant à elles, manquent cruellement d’interlocuteurs pour dénoncer les abus qu’elles peuvent subir et y mettre fin.

Ce manque d’écoute est dramatique car précisément la fragilité de ces femmes en difficulté pour s’exprimer et se faire comprendre font d’elles des proies toutes désignées : elles ne sauront pas se défendre, impunité garantie. Lorsqu’on évoque l’emprise, l’isolement et tous les obstacles rencontrés par les femmes victimes de violences, ces femmes en situation de handicap sont systématiquement oubliées, passées sous silence. Or, victimes premier plan, il est urgent de les intégrer dans tous les discours et toutes les politiques.

En dernier lieu, la condition indispensable pour que cessent les violences est que l’accès à la justice soit possible pour toutes : que chacune puisse connaître et faire valoir ses droits. Une justice accessible à toutes les femmes : celles qui s’expriment en langue des signes, présentent un profil neuro-atypique, celles qui ne voient pas, ne montent pas les marches d’un escalier... Une justice pour toutes.

[1] Rapport d’information n°14 de la délégation aux droits des femmes présenté le 3 octobre 2019 au Sénat.
[2] Rapport du Défenseur des droits « l’emploi des femmes en situation de handicap », novembre 2016.

Données sur les violences faites aux femmes handicapées
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