Paroles de parents
Alors que la PCH est depuis le 1er janvier 2021 ouverte aux aides à la parentalité, découvrez 8 portraits de parents en situation de handicap !

Djamel, 55 ans
« Si j’avais un conseil à donner aux parents dans ma situation, je leur dirais d’y aller avec leur cœur, avec de l’amour sans se poser trop de questions et demander de l’aide quand il le faut ».
Je suis un père marié de 3 enfants dont l’aîné à 22 ans, la cadette 17 ans et le petit dernier 14 ans. J’ai un handicap moteur, dû à la polio qui a touché mes deux membres inférieurs à l’âge de 3 ans. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si je voulais des enfants. Quand j’ai rencontré mon épouse, on s’entendait bien et les choses se sont faites d’elles-mêmes. J’ai essayé de ne pas me mettre trop des barrières.
Les difficultés étaient présentes, surtout quand ils sont en bas-âge et en extérieur. Lorsque j’allais les chercher à l’école, il n’y avait jamais de places de stationnement ; des parents qui se garent en double-file, les places handicapées utilisés par des parents pressés. Je devais parcourir ainsi en fauteuil 15 minutes, parfois sous la pluie, sans pouvoir tenir de parapluie. Il y a des choses que je n’ai jamais pas pu faire avec mes enfants mais j’ai toujours essayé de compenser.
Maintenant, ils sont grands et en bonne santé. Ils ont grandi eux-aussi avec mon handicap et ils ne me regardent pas comme quelqu’un de différent. Ils savent que leur père est comme ça, que je me démène comme je peux. Je les aime et ils me le rendent bien. Je suis également dans un collectif « ParHANDS » qui rassemble des parents en situation de handicap moteur et sensoriel et qui vise à faire tomber les préjugés entourant le handicap.

Gladys, 46 ans
« Si j’avais un conseil à donner aux parents dans ma situation, je leur dirais de garder confiance et d’oser se faire aider. C’est tout à fait ok d’aller vers les autres, de dire ce dont on a besoin. »
Dans ma famille, l’aniridie se transmet depuis plusieurs générations. Mon père, ma sœur, moi et mes enfants avons cette maladie qui entrainent des problèmes de cornée et des dégradations de la vue. Pour ma part, j’ai une vision réduite à moins d’un sur 20. Je ne travaille pour l’instant mais je fais partie d’une association « ludiversité » qui mêle les jeux et la diversité.
J’ai toujours voulu avoir des enfants. Mon mari, voyant, quoique légèrement myope et moi sommes allés voir une généticienne qui nous a dit que nos enfants avaient une chance sur deux d’être touché par l’aniridie. Au final, nos deux enfants sont malvoyants. Lorsqu’on vit le handicap au sein d’une famille depuis sa naissance et depuis plusieurs générations, on le vit plus sereinement. Je savais que j’allais savoir m’en occuper.
La seule difficulté a été de les élever tous les deux de manière très rapprochée. Mes enfants ont 14 mois d’écart. J’ai toujours trouvé des systèmes B : le bébé dans le landeau, la petite sœur sur une planche à roulettes, moi accompagnée de ma canne blanche pour signaler aux autres que je ne vois pas bien. Je me suis ainsi rendue compte que j’étais très malvoyante au moment où je suis devenue mère. J’ai ressenti les obstacles de manière plus forte : emmener ses enfants à la crèche devient périlleux. Les sorties au parc, je devais gérer la bonne distance pour les surveiller et faire attention qu’ils ne se fassent pas mal. Pourtant, une fois, mon fils s’est cogné contre le toboggan, un copain à lui est venu me voir pour me prévenir : sa maman à lui qui avait vu la scène n’a pas bougé le petit doigt.
Aujourd’hui, mes enfants sont ados, ils s’en sortent très bien et sont très autonomes. Il m’arrive parfois de m’inquiéter de ne pas voir comment ils sont habillés, mais mon mari contrôle et leur tante vient m’aider pour faire du shopping. Ils sont conscients que leur vue peut se dégrader mais ils ne s’en inquiètent pas. Ils voient leur mère active et ont confiance en l’avenir.

Jimmy, 33 ans
« Si j’avais un conseil à donner aux parents dans ma situation, je n’en donnerai pas. Chacun fait comme il peut. Je dirais peut-être de ne surtout pas écouter ce que disent les autres et suivre son intuition. Ce n’est pas parce qu’on est autiste qu’on ne peut pas élever d’enfants. Moi j’en ai eu trois. ».
J’ai toujours voulu être père, dès l’âge de 18 ans. J’ai considéré très tôt que mon degré d’épanouissement dans ma vie allait passer par le fait de fonder une famille. J’ai deviné avant tout le monde que mon fils aîné avait quelque chose de particulier. Quand il a été diagnostiqué autiste, cela a fait écho en moi : je me suis toujours senti différent aussi. Trois ans après ce constat, j’ai été à mon tour diagnostiqué. Auparavant, je mettais toutes mes singularités sur des soucis d’intégration sans forcément chercher du côté du handicap. Alors que je me suis adapté par la force des choses, je suis désormais soucieux du regard que les gens portent sur mon fils.
Entre lui et moi, cela fonctionne très bien, j’arrive à comprendre naturellement ses attentes et ses besoins. On est très proches et fusionnels. Avec le deuxième, il y a des interactions et des échanges que je comprends moins : il va exposer des émotions que je ne parviens pas à interpréter. La maman arrive en renfort pour m’aider à comprendre.
Dans ma famille, on a décidé de lever les tabous, d’expliquer clairement les choses. On fait tout pour lui donner les armes nécessaires afin qu’il se débrouille seul. La parentalité, ce n’est pas une question de capacité ou de compétences mais de volonté, de prendre le temps quand on l’a pas. Mon fils a trop longtemps été le bouc émissaire de son école maternelle, perçu comme un « raté » avant d’aller en classe spécialisée. Le fait de savoir que je suis autiste a facilité les choses pour lui. Cela lui permet d’identifier l’autisme de manière positive et lui donne beaucoup de fierté. Mon fils aîné a compris qu’il était différent, peut-être, mais surtout pas raté.

Céline, 44 ans
« Si j’avais un conseil à donner aux parents dans ma situation, je leur dirais de dire les choses telles qu’elles sont. En tant que parent, on veut toujours montrer sa force, pourtant on est comme on est, on a des faiblesses, on peut avoir des défaillances, on peut faire des erreurs, c’est humain. »
Je suis mariée et j’ai des jumelles de 11 ans. Je suis en arrêt maladie depuis l’évolution de mon handicap : le syndrome d’Usher niveau 2, qui me rend très malvoyante et malentendante. C’est une maladie génétique de naissance qui m’a fait longuement hésiter avant d’avoir des enfants. Pourtant, je me suis toujours débrouillée, j’ai eu un diplôme, un travail pendant longtemps, une maison, rien ne pouvait m’arrêter. Pendant la grossesse, j’étais très anxieuse, j’avais peur que mes enfants aient le même syndrome. Dès qu’on a pu faire les examens et qu’on s’est aperçus qu’elles ne l’avaient pas, c’était un grand soulagement.
Quand elles ont grandi, j’ai dû gérer les enfants avec une acuité visuelle de plus en plus réduite. À leur CP, je ne supportais plus la luminosité, tout était remis en question. Comment j’allais faire face ? J’appréhendais d’aller les chercher à l’école, j’avais peur du regard des autres. Au final, tout s’est bien passé, l’avantage d’être très malvoyante c’est que je ne peux pas voir ce qui se passe autour de moi.
J’ai fait suivre mes filles par un psychologue pour qu’elles puissent parler librement de mon handicap et que cela n’ait pas de répercussions sur elles. De mon côté, je suis partie 4 mois dans un centre pour me ré-adapter à ma vue de plus de plus dégradée, pour apprendre à utiliser la canne blanche. Le premier cours, j’étais en pleurs mais avec du recul je revis, grâce à cette nouvelle indépendance. Je suis facilitée dans mes déplacements. Quand je suis revenue du centre de rééducation, j’ai pris une énorme claque. Moi qui gérais toute la maison, je n’y trouvais plus ma place. Je ne pouvais plus leur faire leurs devoirs, je ne pouvais pas faire à manger, je me sentais inutile. J’avais du mal à me retrouver dans le rôle de mère ; mon mari et mes enfants ont tendance à tout faire à ma place, à anticiper mes faits et gestes. C’est moralement très dur de se sentir assistée.
Heureusement, ma relation avec mes filles est très fusionnelle. J’ai toujours dis la vérité, sans jamais être défaitiste : je me suis toujours battue. Il faut trouver les mots justes, à leur niveau. Vu qu’on adore les animaux, pour leur faire accepter la canne blanche, je leur dis que j’allais avoir un chien guide. Plus le temps passe, elles grandissent, plus j’estime qu’elles peuvent m’aider et que c’est normal. De manière plus large, je sens qu’elles sont plus sensibles, plus ouvertes à la diversité.

Romain, 35 ans
« Si j’avais un conseil à donner, c’est de faire du mieux qu’on peut, tout en étant tolérant avec soi-même : il n’y a pas de parent idéal. »
Je m’appelle Romain mais je suis plus connu sur les réseaux avec le pseudo : « Roro le costaud ». J’ai eu un accident de ski en janvier 2012 qui m’a rendu tétraplégique. J’ai tout de même gardé ma place chez les sapeurs papiers avec un nouveau poste adapté à ma situation.
Je suis papa célibataire d’une fille de 8 ans. J’ai appris que j’allais être papa en octobre 2011, peu de temps avant l’accident. Je suis devenu tétraplégique trois semaines avant la première échographie. Lorsque ma fille est née, j’ai dû d’abord m’occuper de moi, il fallait que je reparte de zéro. Elle a été ma première source de motivation et c’est grâce à elle que j’ai avancé aussi vite dans ma rééducation. Je voulais être autonome le plus rapidement possible.
J’ai commencé une nouvelle vie en tant que papa et en tant que personne en situation de handicap. Il y a forcément des difficultés, au début j’avais du mal à la tenir dans mes bras et à lui donner le biberon. C’était très dur mentalement, surtout avant que je puisse reprendre chez les pompiers, j’étais chez moi à ne rien faire pendant qu’une nounou s’occupait de ma fille. Pourtant, j’ai 4 frères et sœurs plus jeunes dont je me suis régulièrement occupés, alors cela me n’a pas vraiment inquiété de mettre des couches et des bodies. Etre papa, cela s’apprend il n’y a pas de miracles.
Après la rééducation, j’ai pu conduire et emmener ma fille à l’école. Je ne fais pas vraiment attention au regard des autres et au contraire, j’y suis confronté tous les jours sur Instagram avec mes abonnés. Aujourd’hui, ma fille a 8 ans, elle ne se pose pas vraiment de questions, elle m’a toujours connu en fauteuil, cela fait partie de sa vie. Elle est ouverte d’esprit et ouverte sur les autres : elle s’en fout de la différence. Elle a une sorte d’empathie naturelle même si c’est quand même une enfant comme les autres : des fois, elle ne veut pas mettre la table.

Charlotte, 34 ans
« Si j’avais un conseil à donner à un parent dans ma situation, cela serait de bien choisir les personnes qui l’accompagnent ».
Je suis psychologue et docteure en philosophie, militante au sein du mouvement Crip sur lequel j’ai fait ma thèse. À l’instar du mouvement queer, le crip permet de se réapproprier le terme « cripple » qui veut dire en anglais estropié, boiteux, infirme et invalide et d’être fier de cette différence à la norme dominante pour renverser le stigmate.
La parentalité et le handicap recouvre des réalités qui peuvent paraître opposées dans l’imaginaire collectif. Dans notre société patriarcale, la mère reste celle sur qui repose beaucoup de responsabilités familiales : veiller sur sa famille, emmener les enfants chez le médecin, s’occuper des repas, du ménage de la cuisine… Moi, je suis en fauteuil et j’ai besoin d’aide, même pour donner le bain à mon enfant. Je n’ai pas de force physique et cette situation fait que je ne peux répondre à ces injonctions sociales qui entourent la définition de ce que doit être une « bonne mère » : le handicap constitue ainsi une porte d’entrée pour repenser les cadres normatifs de la parentalité. Je milite depuis 15 ans dans divers collectifs / associations / parti politique. Aujourd’hui je me concentre sur un activisme en ligne : je suis maman relais dans l’association Handiparentalité et militante aux Dévalideuses. Mes sujets de recherche, mon militantisme, mon métier de psychologue et mon enfant de 4 ans et demi m’ont permis de comprendre les enjeux sociaux politiques autour de mon identité sociale de femme et de maman handicapée.
Mon envie d’avoir des enfants est venu tard. J’ai vécu une enfance classique, éloignée des institutions spécialisées et du médico-social. Mon quotidien n’était pas du tout centré sur le handicap. Pourtant, j’ai intériorisé tout ce que j’entendais, le validisme ambiant. Cela m’a fait beaucoup douter de moi, notamment sur la question de la parentalité : comment être capable en tant que femme handicapée, comment se considérer maman quand on a besoin d’aide ? Autour de moi, ma famille, les médecins, tous n’étaient pas très partants sur cette idée, ils avaient peur que la grossesse me mette en danger. Ils me demandaient tous comment j’allais pouvoir m’occuper de mon enfant alors que je ne pouvais pas totalement m’occuper de moi tel que c’est attendu par la société. Les capacités des personnes handicapées sont sans cesse remises en cause, ce qui est ravageur pour la confiance en soi.
Lorsque j’ai rencontré mon compagnon, on a pris d’abord le temps de se renseigner, de voir tout un tas de médecins, gynécologues, avant de se lancer dans ce projet à deux. A 30 ans, j’ai eu mon enfant. J’ai rendu visite à un couple dont la mère avait la même maladie que moi et cela m’a rassuré de voir que c’était possible d’avoir des enfants. Depuis le 1er janvier 2021, la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) octroie une nouvelle aide jusqu’à 900 euros par mois pour accompagner les parents handicapés d’un enfant de moins de 3 ans et 450€ entre 3 et 7 ans. J’ai donc 4 auxiliaires de vie qui m’aident physiquement dans ce que je ne peux pas faire. Leur rôle est de me seconder sans prendre ma place. Ce rapport-là tend parfois à disparaître lorsque ce sont ma mère ou mon conjoint qui s’occupent de mon fils, il est plus difficile de mettre des barrières entre elleux et mon enfant afin que je trouve pleinement ma place.
Mon compagnon a pris la décision d’arrêter de travailler comme ingénieur informatique pour s’occuper de notre enfant et être mon auxiliaire de vie. Il est salarié pour cela. J’ai senti que ça lui convenait aussi, qu’il avait trouvé son équilibre et que c’était un mode de vie qui lui convenait. De la même manière, j’ai voulu exercer mon métier de psychologue à mon compte que j’ai commencé il y a un an avec des consultations en ligne : je n’ai pas de cabinet physique. On a trouvé notre rythme et quitté Paris. Entre mon enfant et moi, il n’y a pas de tabou et même s’il me demande des choses que je ne peux pas faire, il sait que les auxiliaires de vie sont là pour « aider maman ».
> Le site internet de Charlotte Puisieux

Frédéric, 43 ans
« Si j’avais un conseil à donner aux parents dans ma situation, je leur dirais qu’il faut d’abord être autonome, que cela se travaille. Il ne faut pas avoir peur de la vie, des enfants. »
Je travaille dans une entreprise d’informatique. J’ai la garde exclusive de mes deux enfants depuis juillet 2015. Aujourd’hui, la maman les garde seulement pendant les vacances. De manière générale, on imagine que c’est forcément la maman qui doit avoir la garde, surtout quand le papa est aveugle. Pour moi, la justice a bien fait son travail : après une première enquête sociale, j’ai eu la garde exclusive dès la première instance. La maman a fait appel : elle a tout fait pour me dénigrer et m’empêcher d’avoir la garde à cause de mon handicap. En seconde instance, j’ai bénéficié de la garde exclusive et j’ai pu faire valoir mes droits, handicap ou non.
J’ai toujours eu envie d’avoir des enfants. Je suis aveugle depuis ma naissance et je me suis toujours débrouillé. Au niveau des déplacements, je suis très autonome, je n’ai pas de soucis avec ça. Lorsque les filles étaient petites, je me déplaçais avec elles en métro, en bus, en train avec le porte-bébé, la poussette et la canne blanche. Bon, il y a toujours quelques difficultés : les premières purées ne sont pas magiques, les premières disputes entre sœurs non plus. Au début, ce n’était pas vraiment la fête. Après la séparation, lorsque j’ai obtenu la garde exclusive, les premiers mois ont été compliqués. J’ai engagé quelqu’un pour m’aider pour les devoirs des filles et pour faire les courses. Au début, peut-être parce que je suis un mec, je cuisinais peu et je dépensais 250 euros de courses par semaine pour trois. Avoir une personne qui m’emmenait faire les courses en voiture et qui me conseillait m’a permis d’être vraiment autonome.
Mes deux filles ont désormais 11 et 15 ans et je n’ai pas trop à me plaindre. Cela reste rock’n’roll mais ce sont des enfants qui évoluent énormément à côté du handicap. Mon handicap n’est pas tabou du tout et est totalement rentré dans la normalité. Certes, ce sont des enfants : elles font parfois des bêtises. J’essaie de leur laisser la liberté qu’il faut tout en m’entourant. Et lorsque j’ai un problème, je peux compter sur mes voisins et la famille.
Angélique, 43 ans
« Si j’avais un conseil à donner aux parents dans ma situation, je leur dirais que rien n’est tabou, qu’il est important de dire les choses, de communiquer pour éviter les malentendus. »
Sourdaveugle, j’ai le syndrome d’Usher, je suis mariée et j’ai deux enfants de 18 et 15 ans. Mon conjoint est Sourd et mes enfants sont voyants et entendants. Pendant 15 ans, j’ai co-enseigné à des enfants de maternelle au sein de l’association Deux Langues Pour une Education (2LPE). J’ai dû arrêter de travailler, pour raison de santé, parce que ma vue commençait à baisser à cause de mon syndrome d’Usher. Malgré cela, on ne m’a jamais dit que je ne pouvais pas avoir d’enfants ou que je ne pourrais pas travailler ou participer de quelque façon à la vie sociale. L’envie m’est venue tout naturellement, sans appréhension. Je ne me sentais pas radicalement différente, je me sentais capable et j’avais assez confiance en moi pour devenir maman. En effet, je suis née Sourde Usher, ai bénéficié d’une éducation bilingue en langue des signes (LSF) et été portée par des discours très positifs. Je me suis construite dans une identité claire avec laquelle je n’ai aucun conflit intérieur, et je me suis toujours sentie très autonome. La surdité est pour moi normale, tout mon entourage parle la langue des signes et cette communication me paraît naturelle.
À la naissance de mon fils aîné, je n’avais pas encore de difficultés liées à ma perte de vue. Par la suite, on s’est adaptés en passant à la langue des signes tactiles surtout quand il y avait peu de luminosité. J’ai construit un lien fort avec lui, il a tout de suite compris ma particularité. Lorsque ma fille est née, ma vue s’était fortement dégradée mais ma fille s’est vite adaptée. En effet, j’ai remarqué qu’à l’âge de 3 ans et demi elle avait déjà pris des automatismes me concernant. Surement parce qu’elle avait observé mes difficultés et aussi celle de son oncle. Un soir de fête d’école, après la fin du spectacle, elle est venue tout de suite pour me raccompagner : je ne lui avais rien dit mais elle avait d’elle-même compris que je ne pouvais pas voir une fois la nuit tombée.
De manière générale, nous parlons librement de tous les sujets : les lunettes de vue spéciales orange, la canne blanche… Il me semble aussi important de les informer de l’évolution de mes troubles visuels. Contrairement à ma surdité qui n’est pas évolutive, ma vision baisse et je dois communiquer sur ce que je peux ou ne peux plus faire.
Parfois, mes enfants s’expriment à l’oral à côté de moi, j’essaie de leur faire comprendre, qu’en ma présence, il faut qu’ils passent par la LSF ou la LST, parce que sinon je suis exclue de la conversation. Le plus difficile a été de faire les devoirs à mesure que ma vue a baissé. Nous avons engagé une aide aux devoirs à domicile mais c’était dur financièrement car nous n’avions pas d’aides dédiées et que le matériel technique pour compenser mes troubles visuels est déjà très onéreux.
J’ai la chance d’être très bien entourée. Avec mon frère, Sourdaveugle et Usher comme moi, on s’est beaucoup apportés en termes d’idées et de solutions d’accessibilité. J’ai parfois besoin d’aide mais cela n’enlève en rien l’autonomie que j’ai sur d’autres plans. Et j’ai toujours su composer avec mes besoins et ceux de mes enfants. Ils savent parler trois langues : le français, la langue des signes (LSF) et la langue des signes tactiles (LST). Du coup, lors du stage de mon fils dans un magasin, il a pu accueillir un client sourd en langue des signes. Mes enfants baignent quotidiennement dans un environnement multiculturel puisqu’ils ont des amis à la fois entendants et sourds. Cela joue beaucoup sur leur ouverture d’esprit. Mon rêve était d’avoir des enfants et de former un foyer heureux, je suis ravie que ce soit le cas aujourd’hui.
(Entretien interprété par Marion Le Tohic.)