Covid-19 : chroniques du handicap confiné

Comment vit-on le handicap en situation de confinement ? Les personnes concernées répondent.

Lundi 30 mars.

Bachir, 60 ans, aveugle

« Je suis chercheur économiste et j’étais depuis deux ans sur un travail autour de la résilience : comment la population vit-elle les crises et se reconstruit-elle ensuite ? Donc en plein dans le sujet du Corona.

Je me suis confiné seul chez moi. Je lis beaucoup, je viens de terminer une biographie de Churchill. J’écris également, je suis auteur de deux romans et j’aimerais terminer le troisième. Je ne souffre pas tant du confinement. Je crois qu’être aveugle constitue une sorte d’entraînement permanent au confinement. On est beaucoup plus en lien avec son monde intérieur, concentré aussi sur l’essentiel sans que la vue apporte des distractions constantes et des occasions de se disperser.

Ce qui me manque actuellement c’est surtout les cours de judo. Je fais des exercices dans mon couloir une heure par jour mais ce n’est pas la même chose que les combats.

Pour moi, impossible de remplir une autorisation de sortie. On nous rabâche que les règles s’appliquent à tous, que les contrôles vont pleuvoir mais aucune accessibilité pour les milliers de personnes aveugles... Alors je sors dans la rue, une fois par jour, muni de ma carte d’invalidité et j’ai toujours un sac de commissions sur moi au cas où. Mais en réalité, je ne suis jamais contrôlé. Confinement ou pas, les choses ne changent pas : un aveugle sort de toutes les règles de citoyenneté. Pourtant je peux transmettre ou attraper le virus comme tout le monde.

J’ai la chance d’habiter un quartier parisien où il reste des commerces de proximité. Ils me connaissent et je demande à la caisse ce que je veux. Je ne dépasse pas les 30 € afin de payer sans contact. Cela se passe bien. Heureusement, car les sites de courses en ligne sont complètement saturés. J’ai tenté cette solution au début mais après des heures de tentatives vaines, j’ai abandonné. Donc je me déplace et je me débrouille. Seul problème : les gens n’ont pas très envie actuellement d’aider une personne aveugle qui galère dans ses déplacements. Compliqué en ce moment d’être guidé dans la rue pourtant semée d’obstacles. Certaines personnes ne se posent pas de questions, me prennent le bras, pendant que je prends soin de détourner mon visage pour limiter les risques. D’autres tentent de me guider à distance : « à droite, attention un peu plus à gauche... ». Mais c’est là qu’on constate le nombre de gens qui confonde leur droite et leur gauche.

Donc en conclusion, ça va, rien n’est adapté ni prévu pour les personnes aveugles mais on a tellement l’habitude de cela que le contexte actuel ne paraît pas plus compliqué. Etre aveugle, c’est tellement s’adapter et faire face : la crise actuelle ne change rien de ce côté-là. Je me sens peut-être même plus armé qu’un autre.

 

Mercredi 1er Avril

Maud, 15 ans lycéenne, myopathe

« Je suis habituellement scolarisée en internat dans un établissement spécialisé à Vaucresson. Nous sommes mélangés entre élèves en situation de handicap ou non. Mais depuis le 13 mars, je suis retournée chez ma mère à Orly.

Mes membres supérieurs sont mobiles, je peux lire, téléphoner, utiliser un ordinateur mais pour tout le reste, j’ai besoin d’aide : déplacement, toilette notamment. Ma mère est en télétravail et la première semaine a été un peu compliqué. Elle devait s’occuper de moi, bosser, faire la cuisine et le ménage, c’était beaucoup.

Normalement, une équipe m’encadre : kiné, éducateur... Là, c’est allégé. Une personne vient deux fois par semaine pour le bain et un kiné vient une fois par semaine. On fait des exercices mais les postures qui consistent à détendre les muscles ne sont pas possibles car on n’a pas de table. Avec ces professionnels, le risque de contamination est présent tout le temps pour eux comme pour moi. On n’a pas des masques pour le moment et j’ai une grosse fragilité pulmonaire alors c’est un peu stressant pour tout le monde.

Pour le reste, ma vie n’a pas vraiment changé : je lis beaucoup. Je ne m’ennuie jamais et si cela devait arriver, je m’endors. Au fond, pour moi, il n’y a pas de gros changement depuis le confinement. Je suis les cours de l’école par ordinateur et je m’occupe seule. J’ai juste parfois le sentiment que c’est un peu lourd pour ma mère. »

 

Vendredi 3 Mars

Manon, 24 ans, étudiante, épileptique

Je suis étudiante à Sciences Po Aix. Pour le confinement, je suis venue chez mes parents à La Tour d’Aigues, dans le Vaucluse car mon propriétaire à Aix a dû revenir de l’étranger, nous nous entendons bien alors je lui ai laissé son appartement à Aix. Au bout de ces quelques jours passés avec mes parents, je me rends compte que les conflits sont trop nombreux, je ne vais pas pouvoir rester ici jusqu’à la fin. Je pars demain, avec mon copain qui est avec moi, et nous regagnons son logement à Grenoble.

Je suis épileptique de naissance mais ma première crise convulsive date de mes 17 ans. J’ai été opérée il y a 2 ans mais je prends encore pas mal de médicaments. Je fais aussi des CNEP, des crises non épileptiques psychogènes. Ce sont comme des petites crises d’épilepsie mais je reste totalement consciente. J’ai été également diagnostiquée histrionique, c’est un peu le mot contemporain pour désigner l’hystérie. Mon opération a un retentissement important car il touche à la partie du cerveau qui gère les émotions. Je n’ai aucun souci de compréhension, je suis même reconnue haut potentiel mais tout cela me rend susceptible, très réactive aux tensions et émotionnellement fragile. Le problème est que mes parents ont tendance à évacuer le handicap, ils ne vont pas chercher à s’adapter à mes difficultés, se bornant à me trouver caractérielle. La cohabitation liée au confinement est rendue difficile parce que ce sont des réflexions et des reproches tout le temps que je prends en pleine figure. J’ai mis en place des outils de protection (ne pas répondre, extérioriser ensuite auprès de mon compagnon) mais tout de même je me rends compte que l’idée de vivre avec eux le confinement est trop pénible. Leur incompréhension me blesse car j’aimerais ne pas subir toutes ces conséquences neurologiques et gérer mes émotions avec plus de facilité. Je ne choisis pas d’être aussi susceptible et sensible aux autres.

Je suis suivie par un psy, les consultations se font par téléphone. C’est un peu frustrant car j’aime bien observer ses réactions et la communication corporelle est importante.

Je ne me sens pas plus en danger que quelqu’un d’autre. Je crois que je serais soignée avec un soin particulier si j’étais infectée par le Covid 19, j’ai des liens forts et anciens avec l’équipe hospitalière de La Timone à Marseille. Ce qui me manque vraiment, ce sont les gens, les passants dans la rue, mes amis et les cours en présentiel.

 

Lundi 6 Avril

Alice, 28 ans, « petit problème de surdi-cécité »

Je ne sais jamais comment dire le handicap. On manque de mots adaptés. Je suis usher : c’est un syndrome qui touche la vue et l’audition. Les deux se perdent au fil du temps, sur une durée qui peut être longue. Mais on ne peut se résumer en un mot. Si je dis que je suis malvoyante et malentendante, ça fait beaucoup de « mal » alors que je suis plutôt bien dans ma vie... Si je dis que je suis sourde et aveugle, cela ne correspond pas non plus, parce que je suis un peu ceci, un peu cela. Mais ce ne sont pas deux choses distinctes : chez moi c’est lié.

J’ai décidé de retourner chez mes parents pour le confinement. Je vis dans 19 min 2 s en rez-de-chaussée à Paris et je craignais de péter un plomb. Mes parents vivent dans une maison avec jardin à Fontenay-sous-Bois et je suis carrément mieux ici.

Je suis inspectrice des impôts pour les entreprises uniquement. L’État n’était vraiment pas prêt pour le télétravail. Nous devons assurer la continuité du service public, mais nous n’avons pas accès à nos outils informatiques alors c’est un peu compliqué. Ma chef m’envoie des dossiers sur mon adresse mail perso, je réponds aux collègues qui vont au bureau pour les dossiers que je connais bien, mais ce n’est pas très simple.

Les déplacements sont pour moi toujours compliqués. J’ai une canne blanche, mais je la sors rarement, j’arrive à me débrouiller sans. Mais en cette période, cela me semblait impossible de me rendre au bureau. Comme mon champ visuel est très réduit, je heurte souvent les gens et en ce moment, cela déclencherait une émeute. Déjà qu’en période normale, les gens se montrent facilement agressifs quand je les touche à peine.... Donc le télétravail s’est imposé à moi.

Pour les courses, c’est pareil : j’ai tendance à toucher un peu tout sur les rayons et parfois je bouscule les autres. J’ai fait deux essais et puis j’ai dit à mes parents que je leur laissais cette tâche.

Pour bouger un peu, j’ai fait un tour de tandem avec mon père au tout début du confinement, mais nous avons été arrêtés par la police, car nous ne respections pas la distanciation sociale. J’ai eu beau leur montrer ma canne blanche, rien à faire. Ils nous ont bien engueulés. Du coup, je fais du vélo d’appartement : moins dangereux...

 

Lundi 13 Avril

Marc, 49 ans, a perdu le goût et l’odorat

Je suis réalisateur, cadreur, pour l’instant je suis surtout chômeur. Je suis confiné avec ma femme et nos deux enfants. Nous avons tous deux été contaminés par le corona au tout début de l’épidémie. Cela a d’abord touché ma compagne et ensuite moi, du coup nous avons pu nous relayer auprès des enfants. C’était comme une gigantesque grippe : fièvre, épuisement, courbatures… Un cauchemar.

Et puis j’ai perdu le goût et l’odorat. Encore maintenant, près de quinze jours après, je ne me sens pas très en forme et puis ni le goût ni l’odorat ne sont revenus. J’ai honte de me plaindre, je me rends compte que c’est une conséquence légère mais je prends conscience de ces sens et de ce qu’ils nous apportent chaque jour : du plaisir.

Lorsque je sors dehors, je regarde les arbres en fleurs, même le soleil sur le bitume et je ne sens aucune odeur. C’est comme un monde aseptisé. Je jouais avec mes enfants, je me suis penché sur la tête de ma fille pour la sentir. Et là, aucune odeur, rien.

L’idée de ne plus jamais respirer mes enfants me plonge dans une très grande tristesse. Je suis d’un tempérament angoissé à tendance pessimiste alors même si on me dit que cela doit revenir, je ne vois pas d’amélioration et je m’envisage déjà ainsi pour la vie.

Une vie sans goût, ni odeur. Manger ou boire un bon vin ont perdu aussi leur charme. Je ne perçois que l’amer, l’acide, le doux et le fort. C’est tout, voilà pour les nuances. Si je bois quelques verres, je peux ressentir l’ivresse mais sans aucune sensation sur le palais. Moins drôle, moins jouissif...

J’aurais appris cela : la vie a un goût et une odeur forte.

 

Mercredi 15 Avril

Nathalie, 39 ans, sourde implantée

Je suis sourde et bi-implantée cochléaire. Je dirige ma société, Odiora, depuis 2016. J’ai créé une entreprise sociale et solidaire, qui a pour but d’aider les personnes sourdes et malentendantes à mieux vivre le port de prothèses auditives. Pour cela, nous transformons les appareils auditifs en accessoires de mode, grâce à des bijoux amovibles, à poser sur les appareils auditifs et implants cochléaires. Ainsi, porter son appareil devient un plaisir, et on profite mieux du quotidien. Après avoir commencé en tant que micro-entrepreneur, nous avons fondé la société l’an dernier, et la croissance continue ! De plus en plus de personnes trouvent un sens à nos bijoux, et nous livrons des commandes partout en France, et même à l’étranger ! Depuis 2019, nous avons formé des personnes minutieuses en milieu protégé, près de Lyon, et leur confions l’assemblage de nos bijoux. Nous souhaitons vraiment avoir un impact positif au travers de notre activité. Commander un bijou Odiora, c’est aussi donner un emploi à des personnes en situation de handicap.

 

Je suis confinée avec mon conjoint à la Croix-Rousse. J’ai de la chance, car nous avons de grandes fenêtres avec plein de soleil et une vue dégagée sur les toits de Lyon. Cette vue aide à moins ressentir l’enfermement. Je garde les horaires des journées de travail, pour ne pas perdre le fil. Comme nous ne pouvons pas faire de déplacements, et rencontrer nos clients distributeurs, nous nous adaptons à la situation, et je me concentre sur des sujets qui sont souvent mis en arrière-plan, et pourtant très importants : la mise à jour de mon site internet, la création de nouvelles collections, des formations diverses. Nous allons lancer de nouvelles pièces intégrant des pierres semi-précieuses, telles que l’améthyste et le jade, et travaillons aussi à notre future collection masculine.

 

Je coupe mes journées en prenant du temps pour moi aussi. Je prépare des petits plats, regarde des séries, et me repose tout simplement, pour ne pas trop souffrir du confinement. Je suis aussi confrontée à mon handicap. Je dois m’organiser autrement et recourir davantage au téléphone… Le téléphone est un appareil qui me pose encore beaucoup de frayeurs avec ma surdité. Je doute encore beaucoup de savoir si j’ai bien entendu. Et du coup par peur, j’ai tendance à ne pas l’utiliser d’habitude.

 

Le confinement est une occasion de m’exercer ! Je fais des choses que je n’aurais pas eu le temps de faire en ayant la tête dans le guidon. Je prends du recul avec mon activité. J’apprends à prendre confiance à l’usage du téléphone. Je découvre de nouvelles solutions pour les sous-titres, comme Roger Voice.

 

Néanmoins, le confinement a cassé la dynamique que nous avions mise en place depuis plusieurs mois, pour développer une activité pleine de sens. Nous restons donc autant que possible en lien avec nos clientes via les réseaux sociaux. Nous avons également décidé de faire un don à la fondation Hôpitaux de France pour chaque bijou acheté sur notre site, jusqu’à la fin de la période de confinement.

 

De plus, le fait de ne pas pouvoir lire sur les lèvres à cause des masques est un vrai frein à la communication. J’ai vu qu’une étudiante Américaine, Ashley Lawrence, a conçu des masques avec une visière transparente au niveau des lèvres, pour permettre aux personnes qui lisent sur les lèvres de communiquer. Je trouve ça extra ! Malheureusement, la pénurie de masques et les recours au solutions Beta n’ont pas cette jolie astuce. Je travaille donc à fabriquer des masques similaires. Je suis encore choquée de constater que les programmes télévisés, et notamment les annonces d’État en ce moment, ne soient pas systématiquement sous-titrées. J’aimerais que l’on comprenne que toutes les personnes malentendantes ont recours à de multiples moyens de communication, LSF, LPC et sous-titres — et nous avons le droit d’être informés comme tout le monde.

 

Outre cela, je m’organise comme tout le monde, en restant chez moi afin d’aider à mettre un terme à cette crise le plus rapidement possible, et en rêvant d’endroits à visiter, une fois que ça sera possible !

 

Vendredi 17 Avril

Sébastien, 41 ans, malvoyant

Le confinement n’a pas vraiment changé ma vie. En général, je sors peu. La dernière fois que je suis sorti, j’ai failli me faire renverser par une voiture. Je me déplace avec une canne blanche depuis 5 ans, mais les voitures électriques présentent un vrai danger : on ne les entend presque pas. Je passe la majorité du temps chez moi. Je milite au sein d’une association, « Sébastien Joachim Kick Blindness », qui défend et fait connaître la situation des personnes handicapées visuelles. Je suis beaucoup sur internet, les réseaux sociaux. Je suis aussi auteur de « Une cécité à pas de loup », un livre dont je fais la promotion actuellement.

 

Je pense que le confinement est une opportunité exceptionnelle pour le handicap. D’une part, il va permettre de faire mieux comprendre l’isolement et l’exclusion à des milliers de gens qui ne se sentaient pas concernés. Quand, à l’avenir, on demandera une ville accessible, des solutions de déplacements pour les personnes en situation de handicap, tout le monde se souviendra de ce qu’on éprouve enfermé chez soi, empêché de sortir. J’espère que cela va changer le regard des gens et bousculer l’indifférence.

 

De même, on développe actuellement plein de services à distance : livraison, opérations bancaires en ligne, c’est une accélération formidable pour l’autonomie de plein de gens qui ne peuvent pas se déplacer aisément. J’espère que cela perdurera après cette parenthèse sanitaire. Ce serait utile pour les personnes handicapées, les personnes âgées, les malades et tous ces gens qui ne peuvent pas sortir pour tout un ensemble de démarches qui viennent leur compliquer la vie.

 

Et pour finir, le développement du télétravail devrait faire réfléchir les entreprises concernant l’emploi des travailleurs handicapés. Et demain, au lieu de se dire : « celui-là, il ne peut pas se déplacer facilement, je ne l’embauche pas », les patrons devraient se dire : « le travail à domicile, on a expérimenté et ça marche ! »

 

Bref, le covid-19 est une catastrophe évidemment, mais le confinement peut véritablement être l’occasion de penser autrement la société. Une société inclusive où chacun pourrait enfin avoir sa place.

 

Lundi 20 Avril

Zoé, 18 ans, paraplégique

Je suis étudiante en IUT mesures physiques à Annecy-le-Vieux, et je fais du tennis de haut niveau. Je m’entraîne environ 6 heures par semaine, sans compter les 3 heures de musculation en plus. Je vis près de ma fac, dans une chambre étudiante adaptée, accessible pour mon fauteuil. Quand je suis à Annecy, je n’ai pas une seconde pour moi : le tennis me prend beaucoup de temps au quotidien.

Pour le confinement, je suis revenue chez mes parents. Ça ne me change pas trop, bien que je fasse moins d’activités ; comme tout le monde finalement. Je continue d’avoir mes cours le matin sur internet et l’après-midi, je reste avec ma famille. J’ai de la chance d’avoir une maison avec un jardin, je me sens donc mieux confinée ici qu’à Annecy dans mon appartement. Ma maison est totalement accessible pour moi, ce qui me laisse une grande autonomie.

Le temps passe vite, mais malgré le programme de musculation que mon coach m’a envoyé, le sport me manque. Les tournois de tennis sont annulés jusqu’à juillet. J’essaie alors de tirer profit de ce confinement : je travaille mes cours comme je peux, je fais mes exercices de muscu et je profite au maximum de ma famille.

 

Mercredi 22 Avril

David, 24 ans, sourd s'exprimant en LSF

Je suis bibliothécaire à Toulouse et je suis sourd profond de naissance. À cause de (ou grâce à) ma surdité, je suis un peu solitaire à force d’être un peu à la marge et d’être exclu des interactions sociales avec des personnes entendantes. J’ai fini par construire mon petit univers personnel, ce qui rend le confinement moins difficile que ce qu’il paraît. Je ne ressens pas le besoin de téléphoner par exemple ni d’être en constante interaction avec des personnes (notamment avec des entendants).

 

J’ai 24 ans et je vis avec ma copine étudiante dans un appartement de 50 m2 avec un balcon. On essaie de varier les journées en faisant des pâtisseries, en réfléchissant à nos projets futurs, ou encore en faisant des apéros en ligne avec nos amis sourds. On communique en LSF, donc je ne ressens pas d’effort particulier à faire puisqu’il s’agit de ma langue maternelle. On consacre beaucoup de notre temps à la lecture, véritable couteau suisse du confinement : cela permet de garder le cerveau actif, de nourrir notre culture, de s’évader au-delà de nos quatre murs, et de réfléchir. Bien sûr que je garde le lien avec mes collègues en télétravail, le principal mode de communication étant le mail, ce qui me va très bien.

 

C’est vrai qu’étant sourd, je n’éprouve pas de difficultés pendant le confinement, hormis les appels avec ma famille (heureusement que ma copine est là pour jouer l’interprète de poche). Comme tout le monde, je crois, la liberté de sortir nous manque, surtout avec le beau temps. Heureusement, la vaste majorité des divertissements me sont accessibles avec la présence permanente des sous-titres dans les plateformes de streaming payantes, de même pour les jeux vidéo.

Je suis étudiante en IUT mesures physiques à Annecy-le-Vieux, et je fais du tennis de haut niveau. Je m’entraîne environ 6 heures par semaine, sans compter les 3 heures de musculation en plus. Je vis près de ma fac, dans une chambre étudiante adaptée, accessible pour mon fauteuil. Quand je suis à Annecy, je n’ai pas une seconde pour moi : le tennis me prend beaucoup de temps au quotidien.

Pour le confinement, je suis revenue chez mes parents. Ça ne me change pas trop, bien que je fasse moins d’activités ; comme tout le monde finalement. Je continue d’avoir mes cours le matin sur internet et l’après-midi, je reste avec ma famille. J’ai de la chance d’avoir une maison avec un jardin, je me sens donc mieux confinée ici qu’à Annecy dans mon appartement. Ma maison est totalement accessible pour moi, ce qui me laisse une grande autonomie.

Le temps passe vite, mais malgré le programme de musculation que mon coach m’a envoyé, le sport me manque. Les tournois de tennis sont annulés jusqu’à juillet. J’essaie alors de tirer profit de ce confinement : je travaille mes cours comme je peux, je fais mes exercices de muscu et je profite au maximum de ma famille.

 

Vendredi 24 avril

Odile, 80 ans, aveugle.

Je suis une confinée à la retraite. J’ai milité dans le milieu du handicap visuel, et j’ai commencé à apprendre l’informatique à 60 ans, pour pouvoir faire mes démarches administratives toute seule, et répondre à mes mails. Aujourd’hui, en temps de confinement, je ne vois pas le temps passer. Je suis abonnée aux journaux. Je lis la presse suisse aussi, car j’ai vécu à Genève.

 

Néanmoins, le confinement a réduit considérablement mon autonomie et mes activités. Si j’étais voyante, je pourrais peut-être sortir un peu plus, pour faire mes courses par exemple. Je suis donc obligée de rester à la maison, car je n’ai pas envie d’être à la charge des autres. Je faisais aussi de la gym douce deux heures par semaine, et une randonnée avec mes voisins de manière hebdomadaire.

 

Malgré tout, je me sens privilégiée, car la solidarité est très présente dans mon quartier. J’ai des voisins attentifs, une maison, un jardin. Mes voisins me font mes petites courses et m’achètent mon pain. J’ai eu la chance d’aller me balader hier avec ma voisine, c’était la première fois que je sortais de chez moi depuis les élections municipales du 15 mars. En effet, je n’étais pas vraiment sûre d’avoir le droit de sortir, mais j’ai eu l’information grâce à votre permanence juridique « Urgence COVID-19 ».

 

Lundi 27 avril

Stéphanie, 51 ans, maladie congénitale touchant les articulations

Cela fait un mois que je ne suis pas sortie. Néanmoins, comme je suis formatrice et réalisatrice, certaines de mes activités connaissent un renouveau. Certes, mon travail dans l’audiovisuel a été stoppé, mais paradoxalement les formations en ligne marchent plutôt bien en temps de confinement. Je réalise des formations sur l’accessibilité et je travaille actuellement sur un module 2 avec des visioconférences. On peut dire que le fait de rester enfermée n’influe pas sur le travail de formatrice, ça me permet d’expérimenter des choses et de réfléchir autrement.

 

J’aurais pu quitter Paris, mais je ne l’ai pas fait : je vis donc avec mon mari et mon fils. J’ai de la chance, je suis dans un environnement agréable. Cela se passe plutôt bien. Il a fallu tout de même se réorganiser, changer ses façons de faire. Chacun a son espace, un dans la cuisine, un dans la chambre, tout en gardant des moments de convivialité. On fait tous notre part au sein de la maison.

 

Quant à mon handicap : l’arthrogrypose, il se manifeste par des difficultés pour marcher. Je marche avec une canne, et j’ai deux séances de kiné par semaine. Avec le confinement, elles n’ont plus lieu, mais j’essaie de faire quelques exercices à la maison en espérant que la situation ne tarde pas trop. 2 mois, ça passe, mais 6 un peu moins.

 

Mercredi 29 Avril

Hamou, 56 ans, aveugle

Les gens confinés dans leur tête trouveront toujours des moyens de rester confiné dans la vie réelle, mais les gens ouverts aux autres auront toujours une main à prendre et de l’amour à revendre, même après une situation où les contacts humains sont prohibés.

 

Je suis un aveugle kabyle, militant politique. J’ai de la chance, je suis resté vivre dans ma maison plutôt agréable en plein Paris pour passer le confinement. Je vis avec mon fils, mais j’appelle régulièrement mes deux autres enfants. Je travaille comme consultant ; je donne des conférences, des formations dans les organisations pour résoudre les problèmes d’altérité liés au handicap.

 

Le confinement, je ne m’en plains pas. Tout ce temps libre m’a permis de faire un jeûne de trois jours, de faire du vélo et quelques exercices de sports. On dirait même que je prends plus soin de ma carcasse ! Je peux laisser libre cours à ma vie nocturne : écouter de la musique, des podcasts, lire des bouquins, des romans policiers. Il y a plein de ressources qui ont été libérées, on a accès à plein de choses. Et puis pour les réunions en visioconférences, je me lève cinq minutes avant, pas besoin de se déplacer. J’ai gardé mon autonomie : je sors régulièrement avec mon chien guide, pour faire les courses dans les magasins de proximité. J’essaie de privilégier le petit boucher à côté de la maison plutôt que le supermarché. C’est l’avantage d’habiter en ville : les commerces sont proches. Certains restaurants sont même restés ouverts pour la vente à emporter.

 

Ce qui me manque le plus, c’est clairement les interactions sociales : prendre dans les bras, boire un verre, aller au théâtre. J’ai cette nostalgie des gens que je ne peux plus voir. Heureusement, le téléphone est un outil formidable. Il permet d’abord de se rencontrer de manière rapide, et constitue aussi un moyen de communication, d’échange et de pédagogie, qui est largement sous-estimé. Je donne par téléphone des cours de hautbois à mon fils, je lis des histoires à ma fille. On peut y tisser des liens forts.

 

Il faut espérer que les gens se rendront compte que finalement il ne suffit pas de faire des kilomètres pour apprécier le vrai goût de la rencontre. Il y a une carte à jouer dans nos rapports avec les autres. Qu’on puisse dire aux autres qu’on les aime, qu’ils nous ont manqué, afin de retrouver le sens des mots et l’importance des échanges. Je suis d’un naturel optimiste et j’aimerais qu’on tire quelque chose de cette période.

 

Le confinement pourrait permettre aux gens de réaliser qu’on peut utiliser différemment nos sens. Il y a un vrai défi à parler aux gens qu’on ne voit pas. Globalement, pour nous les aveugles, c’est notre vie quotidienne.

 

Lundi 4 Mai

Isabelle, 47 ans, malentendante.

Le confinement, c’est une invitation à rester à l’intérieur, et pas seulement à l’intérieur de notre maison. C’est à l’intérieur de soi que se trouvent les ressources et les possibilités de faire des choses qu’on n’a pas l’habitude de faire.

Mes journées sont rythmées par plusieurs activités. Je suis en ce moment une formation en ligne ; une initiation a des rituels égyptiens, je fais du yoga avec mon mari et j’aide mon fils à faire ses devoirs. À l’extérieur, comme je lis sur les lèvres, les masques représentent un vrai problème pour moi. Hier, j'ai dû faire des analyses dans un laboratoire et je ne comprenais pas du tout la secrétaire qui me parlait avec son masque. Cette situation m'a ramené au temps où j'ai perdu l'audition et que j'étais complètement perdue parce que je n’arrivais plus à comprendre les gens autour de moi. Heureusement que je suis devenue plus aguerrie avec le temps et que j’arrive à accepter ces moments désagréables.

 

Mais en général, je n’ai pas l’impression que le confinement change quelque chose pour moi, et il devient même globalement positif. Je suis beaucoup plus au téléphone qu’avant et je peux utiliser mon kit mains libres avec la boucle auditive Bluetooth. Quand mon téléphone sonne, j’ai la boucle autour du cou, il me suffit de l’activer et j’ai la personne au téléphone directement dans mes appareils auditifs. En temps normal, je ne l’utilise pas, car le micro est très puissant, et dans la rue par exemple, il y a beaucoup trop de bruits, et mes interlocuteurs ne m’entendent pas bien. De plus, en étant auteure et metteuse en scène, je profite de ce temps libre pour préparer mes spectacles et réaliser un démarchage en contactant les théâtres. Ça, je peux le faire en ce moment, un peu tous les jours, rien ne m’empêche vraiment d’écrire. Ça ne veut pas forcément dire : produire des œuvres tous les jours, mais prendre ce temps-là pour écrire. Je puise mon inspiration dans les choses invisibles, profondes, qui peuvent tous nous relier.

 

Mercredi 6 Mai

Louisa, 40 ans, malentendante et troubles de la marche.

Le confinement a modifié mon état d’esprit : j’ai pris du recul avec le quotidien et je me rends compte des efforts d’adaptation et d’intégration constants qu’il faut fournir quand on est en situation de handicap. Je réalise aussi tout ce qui manque à la société pour qu’elle soit accessible à tous.

J’ai réorganisé mon rythme de vie avec des activités physiques régulières et des loisirs. Je suis devenue une adepte de l’autoformation ; j’ai assisté à des webinaires très enrichissants. J’ai aussi fini toutes mes piles de livres.

J’ai essayé de rendre mon quotidien, même réduit à l’espace de mon appartement, agréable et ressourçant. Il faut dire que j’ai pris ce confinement comme une période de « répit ».

Habituellement, mon rythme est effréné : tout tourne autour du travail, sans compter les temps de trajets en voiture et mes séances de kinésithérapeute 4 fois par semaine. Le confinement m’a permis de retrouver des périodes d’équilibre et de lâcher-prise dans un quotidien que je pourrais qualifier de « course contre la montre ». J’apprécie aussi de me lever sans réveil cumulant l’option sonore, vibrante et lumineuse dont j’ai besoin pour combler mes troubles auditifs.

J’ai aussi la chance, malgré la surdité, de pouvoir continuer à échanger par téléphone et internet : mon réseau de proches et ma famille ont été très présents.

En revanche, je n’ai pas eu de séances de kinésithérapie : j’ai dû redoubler d’efforts pour me motiver seule à faire mes exercices afin de ne pas perdre en masse musculaire et rester le plus active possible. Heureusement, je garde un minimum de contact avec ma kiné par visio, ce n’est pas pareil, mais c’est déjà ça.

De plus, vivre dans un environnement clos et peu stimulant en relations humaines et sociales a impacté mon audition. Je suis actuellement moins stimulée que sur une journée classique où je vais bouger, voir du monde et être en interaction auditive et verbale. Il me faudra probablement du temps et de la patience pour retrouver mes seuils d’audition. J’ai dû aller au laboratoire et à la pharmacie et j’ai apporté un post-it avec écrit : « je suis malentendante ». Je lis sur les lèvres et devant une personne masquée je me suis rendu compte que je devenais quasiment sourde.

Finalement, malgré toutes les difficultés que le confinement a engendrées, notamment au niveau de mon audition, j’essaie de dédramatiser. Dès le début, je me suis dit que cela allait prendre des allures de retraite, de ressourcement : j’ai voyagé dans des régions dépourvues de tout (eau, électricité, téléphone, alimentation de choix). Ainsi, je me considère tout de même chanceuse malgré tout. Au terme du confinement qui s’annonce, je me rends compte que je me suis largement débrouillée toute seule. Avec le recul, je crois que je peux en être fière. Cet épisode m’a révélé mes capacités d’adaptation autant physiques que psychologiques.

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